par Gérard Bon et Simon Carraud
PARIS (Reuters) - A peine ouvert, le procès de l'ancien ministre socialiste du Budget Jérôme Cahuzac, jugé à Paris à partir de lundi prochain pour son compte caché à l'étranger, pourrait être reporté pour des questions de constitutionnalité.
Sa défense entend en effet soulever dès le début de l'audience des Questions prioritaires de constitutionnalité (QPC).
L'ancien ministre est à l'origine du scandale le plus retentissant du quinquennat Hollande en raison notamment de ses mensonges devant la représentation nationale au sujet de ses avoirs dissimulés.
Il est jugé pour fraude fiscale, blanchiment, et pour avoir omis de déclarer ses avoirs à l'étranger dans sa déclaration de patrimoine lors de son entrée au gouvernement en mai 2012.
Celui qui s'était fait le héraut de la lutte contre l'évasion fiscale encourt jusqu'à sept ans de prison et 1 million d'euros d'amende, ainsi que la privation de ses droits civiques, civils et de famille.
Son avocat, Jean Veil, a annoncé qu'il soulèverait deux QPC, la principale étant identique à celle transmise le 6 janvier à la Cour de cassation au procès pour fraude fiscale du marchand d'art Guy Wildenstein et qui a entraîné la suspension des débats.
Elle porte sur le cumul de la procédure pénale avec un contentieux fiscal et le principe du "non bis in idem", selon lequel on ne peut être jugé deux fois pour de mêmes faits. Or, Jérôme Cahuzac s'est vu infliger des sanctions fiscales.
"La décision qui sera rendue le 10 février ne peut être différente de celle rendue par la même juridiction dans l’affaire Wildenstein", a dit Jean Veil à Reuters.
RIGUEUR
Engagée dans cette bataille de procédure, la défense de l'ex-épouse de Jérôme Cahuzac, Patricia, compte soulever la même objection, contrairement à la banque genevoise Reyl, qui n'est concernée que par le volet pénal de l'affaire.
Lorsqu'il se tiendra pour de bon, ce procès racontera la chute d'un chirurgien qui a entrepris une ascension vers les hauteurs du pouvoir - membre du cabinet du ministre de la Santé en 1988, député en 1997, maire en 2001.
Lancé dans sa course, il arrive au Budget dans le sillage de la victoire de François Hollande en 2012. Il a alors la réputation d'un technicien sérieux, incarnation d'une rigueur de gauche, et prêt à lutter contre l'évasion fiscale.
En novembre 2012, trois semaines avant les premières secousses, il présente même en conseil des ministres des mesures destinées à renforcer les moyens de la lutte contre la fraude.
Mais sa trajectoire dérape le 4 décembre 2012, lorsque le site Mediapart révèle l'existence d'un compte en Suisse, puis Jérôme Cahuzac finit par tomber complètement le 2 avril suivant, jour de ses spectaculaires aveux et de sa mise en examen.
Entre ces deux dates, le ministre du Budget a menti avec constance devant la presse, les parlementaires, ses collègues au gouvernement et, dit-il, François Hollande.
"Je n'ai pas (...), je n'ai jamais eu de compte à l'étranger, ni maintenant, ni avant. Je démens donc ces accusations", répond-il à l'Assemblée nationale, le 5 décembre, les deux mains agrippées au micro devant lui.
Il réclame alors à ses accusateurs des "éléments probants".
Le jour même, Mediapart publie l'extrait d'un enregistrement sonore dans lequel on peut entendre la voix d'un homme, présenté comme Jérôme Cahuzac, faisant part de son embarras au sujet d'un compte détenu à l'UBS.
ENVIRON 600.000 EUROS
Semaine après semaine, les soupçons se précisent mais sa version ne varie pas, quasiment au mot près, et il répète chaque fois qu'on lui pose la question qu'il n'a pas et n'a jamais eu de compte dissimulé, ni à l'UBS, ni ailleurs.
Mais il finit par lâcher prise au printemps, cerné par les procédures: fin mars, il démissionne puis écrit aux juges pour leur expliquer qu'il a menti, avant de rendre ses aveux publics le 2 avril.
Dans un message de contrition publié sur son blog personnel, il se présente comme un homme "dévasté par le remords" et aussitôt la classe politique, en particulier à gauche où on l'a longtemps soutenu, témoigne de sa sidération.
Sur son site, il explique avoir détenu à l'étranger un compte affichant un solde d'environ 600.000 euros.
Aux enquêteurs qui l'entendent le même jour, il dit avoir approvisionné ce compte, transféré à Singapour en 2009, avec des revenus tirés de ses activités de chirurgien, mais également avec une rémunération versée au titre de son rôle de conseil en entreprises auprès d'un laboratoire pharmaceutique.
Par la suite, les juges d'instruction établissent que le premier compte a été ouvert en 1992 par un avocat, Philippe Péninque, à l'UBS, à la demande de Jérôme Cahuzac, qui en a ouvert un autre à son nom l'année suivante.
Toujours selon les juges, il a ensuite transféré ses avoirs à la banque Reyl, sous le nom de code Birdie, et enfin à Singapour en 2009, par souci de discrétion.
Mais les précautions ne suffisent pas. Et s'achève en 2013 la carrière politique de cet ex-partisan de Dominique Strauss-Kahn, dont les ambitions, comme celles de l'ancien présidentiable, se sont un jour effondrées.
(Edité par Yves Clarisse)