L'un des leaders mondiaux dans l'agrochimie, le groupe suisse Syngenta, est en passe d'échapper à un procès dans une affaire d'épandage de tonnes de semences enrobées notamment de l'insecticide Gaucho, nuisible pour les abeilles: pour la justice, la dissolution de l'entité poursuivie n'est pas frauduleuse.
"C'est une prime à la fraude, toute société qui a un risque environnemental pourra désormais se dissoudre délibérément lorsqu'elle sera poursuivie", a dénoncé l'avocat des syndicats d'apiculteurs, parties civiles dans le dossier pénal, Bernard Fau.
A l'origine de cette affaire, la plainte en 2003 de syndicats et associations apicoles, alertés par un apiculteur de Verteuil-d'Agenais (Lot-et-Garonne), au sujet de l'épandage massif de stocks de semences déclassées, c'est-à-dire périmées ou déclarées non-conformes, enrobées de produits phytosanitaires. Cette technique d'élimination des semences était pratiquée jusque fin 2002.
Dans un courrier adressé aux autorités en 2002, Syngenta affirmait avoir fait détruire par son intermédiaire 376 tonnes de semences, dont 10% traitées au Gaucho.
Puis à partir d'un registre établi en 2004, les enquêteurs ont constaté que l'agriculteur avait éliminé 922 tonnes de semences déclassées entre 1999 et 2003.
Une expertise avait conclu que les risques environnementaux semblaient relativement limités, à l'exception des insectes pollinisateurs, qui pouvaient être affectés par les taux résiduels élevés dans les fleurs. L'expert estimait que les semences litigieuses présentaient des risques de toxicité pour l'environnement, voire pour l'homme, en raison d'un "apport important de matières toxiques actives".
L'apiculteur qui avait signalé les faits n'avait finalement subi aucune mortalité de ses abeilles, car il avait pris soin de les éloigner des parcelles en cause.
- 'Lampiste' -
Syngenta estimait quant à elle qu'il ne s'agissait pas de déchets et que les pratiques contestées n'avaient été à l'origine d'aucune atteinte à l'environnement.
Pas suffisant pour convaincre la juge d'instruction, qui a renvoyé le 16 novembre 2011 devant le tribunal Syngenta et la société de l'agriculteur qui faisait ces épandages.
Mais cinq jours plus tard, l'entité poursuivie, Syngenta Seeds Holding, est dissoute pour se fondre dans Syngenta Holding France.
Y voyant une manœuvre frauduleuse pour échapper aux poursuites, le parquet saisit le tribunal de commerce de Versailles. Lequel a annulé la dissolution, estimant notamment que si la société "était certaine de son argumentaire de n'avoir commis aucune infraction, elle aurait aussi bien pu retarder sa dissolution anticipée et faire ainsi face à ses obligations".
Mais Syngenta a fait appel, et obtenu gain de cause le 26 janvier, selon la décision consultée par l'AFP. La cour d'appel de Versailles a été plus sensible que le tribunal à l'argument de Syngenta selon lequel la réorganisation était envisagée depuis 2010. La cour a jugé que "la seule date" de la dissolution ne peut suffire à caractériser la fraude.
Dans la mesure où le parquet général de Versailles, joint par l'AFP, n'envisage pas de se pourvoir en cassation, le tribunal correctionnel de Paris devrait donc être amené à constater l'extinction des poursuites contre cette entité de Syngenta qui n'existe plus. Et fixer une date de procès, qui ne concernerait donc plus que la société de l'agriculteur qui a enfoui ces semences.
"Seul le lampiste est poursuivi", a déploré Me Fau, jugeant "anormal" que le parquet général ne fasse pas de pourvoi.
Selon le directeur juridique de Syngenta France, Jacques Monniot, cette dissolution s'est opérée dans le cadre d'une "restructuration mondiale" lors de laquelle "40 autres filiales du groupe ont été liquidées ou absorbées". Selon lui, la preuve de la fraude "n'a toujours pas été rapportée".
Le géant chinois de la chimie ChemChina a proposé récemment de racheter Syngenta pour 43 milliards de dollars, offre acceptée par le conseil d'administration du groupe suisse, qui représenterait la plus grosse acquisition jamais réalisée par un groupe chinois à l'étranger.