par Francesco Guarascio
BRUXELLES (Reuters) - Un mois à peine avant que l'Europe ne se lance dans une quête effrénée d'équipements de protection, de respirateurs artificiels et de kits de dépistage pour combattre l'épidémie de coronavirus, les gouvernements européens prétendaient que leurs systèmes de santé étaient prêts et qu'ils ne voyaient aucune raison d'accroître leurs stocks, montrent des documents internes que Reuters a pu consulter.
Cette présentation idyllique de la situation se retrouve dans les minutes, publiques ou confidentielles, d'échanges entre diplomates et responsables européens de la santé lors de différentes réunions.
Avec le recul, elle contraste, et de quelle manière, avec les pénuries observées dans la quasi-totalité des Etats membres alors que la Commission européenne a estimé la semaine dernière que les capacités normales de production et d'approvisionnement des Vingt-Sept ne pouvaient répondre qu'à 10% de la demande en équipements de protection et autres appareils médicaux.
Les pénuries sont largement dues à la violence et à l'ampleur de la pandémie qui frappe la quasi-totalité de la planète. Mais les gouvernements européens ont peut-être aggravé leur situation en surestimant leurs capacités à répondre à la crise sanitaire.
"FORT DEGRÉ DE PRÉPARATION"
Ainsi, le 5 février, lors d'une réunion à huis clos, un responsable de la Commission déclare à des diplomates européens: "Les choses sont sous contrôle."
Deux semaines auparavant, la Chine a ordonné le confinement de près de 60 millions d'habitants de la province du Hubei. C'est pratiquement l'équivalent de la population de l'Italie. Un peu moins que la France.
"Il y a un fort degré de préparation dans les Etats membres, la plupart ont mis des mesures en place" pour détecter le coronavirus et traiter le Covid-19, poursuit ce responsable, d'après un document confidentiel.
Cet optimisme découle des prise de position d'experts en question de santé publique des Vingt-Sept lors de réunions préalables. C'est le cas le 31 janvier, lorsque des représentants des ministères de la Santé indiquent à la Commission qu'ils n'ont pas besoin d'aide pour acquérir des équipements médicaux.
"Aucun pays n'a à ce jour demandé un soutien pour se procurer des contre-mesures additionnelles", peut-on lire dans les minutes de cette réunion. Quatre pays seulement mettent en garde: si la situation se dégrade en Europe, ils pourraient avoir besoin d'équipements de protection. Leurs noms n'apparaissent pas dans le document.
Sollicité par Reuters, un porte-parole de la Commission européenne a souligné mercredi que l'exécutif européen avait proposé dès janvier la possibilité de soutenir les Etats membres.
Il a fallu attendre un mois pour que, le 28 février, la Commission lance au nom des Vingt-Sept un premier appel d'offres pour l'achat de masques, de gants, de lunettes et de blouses de protection. L'Italie compte alors 888 cas confirmés de contamination par le SARS-CoV-2 et 21 décès au niveau national; en France, le ministre de la Santé, Olivier Véran, fait état de 19 cas supplémentaires, portant le total à 57 contaminations.
D'après un document confidentiel, aucune offre n'a été reçue sur cet appel. Les gouvernements examinent à présent les réponses apportées à un second appel d'offres, mais aucun contrat n'a encore été signé.
"LES CAPACITÉS DE DIAGNOSTIC SONT EN PLACE"
Parallèlement, les Européens ont également assuré que leur personnel de santé avait été bien formé pour prendre en charge les patients atteints du Covid-19.
Le gouvernement italien n'a pourtant ordonné que le 24 février le port de masques de protection pour les soignants s'occupant des cas suspects. Jusqu'à cette date, il ne s'agissait que d'une recommandation, montrent des documents officiels.
Aujourd'hui, près de 10.000 médecins, infirmières ou aide-soignants ont déjà été contaminés en Italie, représentant plus de 9% du nombre total de cas confirmés.
Les Etats ont aussi surévalué leurs systèmes de santé.
"Les capacités de diagnostic sont en place, et plusieurs pays ont commencé à tester la population", notent des experts en santé publique réunis une nouvelle fois, le 4 février.
Ce n'est qu'en mars que les gouvernements européens commencent à saisir réellement la gravité de la situation.
Ainsi, la nécessité d'un achat commun de respirateurs artificiels est pour la première fois soulevée lors d'une réunion d'experts le 13 mars. Et un appel d'offres européen est lancé le 17 par la Commission.
Mais dans l'ensemble, les Etats membres ont plutôt recours à des initiatives nationales comme la fermeture des frontières ou la mise en place de barrières commerciales contre l'exportation d'équipements médicaux vers leurs voisins.
Mi-février, le risque que les capacités des établissements de santé soient dépassées par le nombre de malades est classé dans la catégorie "faible à modéré" par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC). L'agence européenne spécialisée dans les maladies infectieuses s'appuie alors sur les données que lui font remonter les autorités nationales.
Le 25 mars dernier, l'ECDC dit redouter pour tous les pays de l'Union européenne une pénurie de lits dans les hôpitaux d'ici la mi-avril.
(version française Henri-Pierre André, édité par Jean-Stéphane Brosse)