Trois mois après son arrivée à Downing Street, Theresa May participe jeudi à son premier sommet européen à Bruxelles avec l'intention d'apaiser les craintes des Européens face au chantier pharaonique du Brexit.
A l'occasion d'un dîner de travail avec les dirigeants des 27 autres pays de l'Union européenne, la Première ministre britannique doit réaffirmer sa volonté d'activer avant la fin mars 2017 l'article 50 du traité de Lisbonne, qui lancera les négociations de sortie de l'UE.
Ce calendrier, ouvrant la voie à un départ effectif du Royaume-Uni de l'UE début 2019, a été salué par les dirigeants européens qui poussent pour un divorce rapide depuis le résultat du référendum du 23 juin.
Mais Mme May a également provoqué des froncements de sourcils auprès des vingt-sept en insistant sur l'idée d'appliquer un contrôle de l'immigration des citoyens de l'UE, s'orientant ainsi vers un Brexit "dur", sans concessions.
Pour les Européens, cette proposition va à l'encontre du principe de libre circulation et s'avère incompatible avec un accès sans conditions au marché unique.
"La vérité brutale est que le Brexit sera une perte pour nous tous. Il n'y aura pas de gâteaux sur la table, seulement du sel et du vinaigre", a souligné le président du Conseil européen, Donald Tusk, qui craint un divorce houleux.
Selon une source proche de Downing Street, Mme May est pourtant prête à mettre de l'eau dans son vin et à demander aux vingt-sept de l'aider pour négocier une séparation qui soit la moins douloureuse possible.
"Elle souhaite un Royaume-Uni fort qui devienne un partenaire d'une Union européenne forte. Elle ne veut pas que la procédure de sortie nuise à l'UE. Nous voulons un départ sans heurt et constructif qui minimise l'incertitude", a souligné cette source gouvernementale.
"Nous allons agir en tant que membre responsable, actif et engagé de l'UE jusqu'à notre départ", assure-t-on par ailleurs à Downing Street, alors que la Syrie et le rôle de la Russie devraient dominer l'agenda à Bruxelles.
-'Le Royaume-Uni impatient de savoir'-
Du côté de la Commission européenne, on insiste qu'il n'y aura pas de négociations avant le déclenchement de l'article 50. Il n'y aura d'ailleurs aucun débat jeudi soir après l'allocution de la Première ministre britannique, prévue à la fin du dîner, a insisté une source diplomatique européenne.
Reste que Mme May, qui n'avait pas été invitée au dernier sommet de l'UE à Bratislava, devrait profiter de l'occasion pour sonder des alliés potentiels.
La dirigeante torie s'est déjà rendue en France, en Allemagne, au Danemark, aux Pays-Bas et en Espagne. A Bruxelles, elle aura des apartés avec les dirigeants de l'Estonie et de la Roumanie.
"Le Royaume-Uni est impatient de savoir ce que d'autres Etats membres sont prêts à accepter dans les négociations sur le Brexit", note Iain Begg, professeur de sciences politiques à la London School of Economics.
Preuve de la complexité des négociations à venir, Mme May a indiqué mercredi devant le Parlement que les négociations allaient durer "deux ans, ou plus", n'excluant donc pas la possibilité d'une prolongation de la période prévue.
L'une des difficultés vient des divisions du gouvernement britannique, qui peine à s'accorder sur une stratégie claire. Le ministre des Affaires étrangères Boris Johnson insiste sur le nécessaire contrôle de l'immigration. Celui des Finances, Philip Hammond, cherche d'abord à protéger l'économie.
Ces divergences de vue ne sont "un secret pour personne", a avoué M. Hammond qui insiste sur l'impératif pour le secteur financier de ne pas être entravé par des restrictions sur le mouvement des travailleurs qualifiés.
Jeudi matin, le ministre du Brexit, David Davis, a assuré que le Royaume-Uni allait maintenir "la libre circulation des cerveaux".
L'Ecosse, qui menace d'un nouveau référendum d’indépendance et a publié un projet de loi en ce sens jeudi, constitue un autre casse-tête. Plusieurs recours en justice risquent également de freiner le processus.
"Je pense que les dirigeants européens vont signifier à Mme May de faire d'abord le ménage chez elle avant même de commencer à discuter", tranche Catherine Barnard, professeure à l'Université de Cambridge.