par Balazs Koranyi et Francesco Canepa
FRANCFORT (Reuters) - La Banque centrale européenne (BCE) a surpris les marchés financiers jeudi en annonçant qu'elle réduirait ses achats d'obligations sur les marchés à partir d'avril, tout en se réservant le droit de les augmenter de nouveau en cas de besoin.
La BCE ramènera le montant mensuel consacré à ses achats d'actifs à 60 milliards d'euros, contre 80 milliards pour l'instant, même si elle prévoit de les prolonger jusqu'à la fin de l'an prochain au moins.
Une majorité des investisseurs s'attendaient à ce qu'elle opte pour le maintien d'un rythme de 80 milliards par mois, mais pour six mois seulement. La décision prise jeudi peut donc être perçue comme le fruit d'un compromis entre les "faucons" et les "colombes" du Conseil des gouverneurs.
Pourtant, le Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) écrit que Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, n'était pas d'accord avec la décision de prolonger l'assouplissement quantitatif (QE). La Bundesbank s'est refusé à tout commentaire.
Cela étant le scepticisme de Weidmann vis-à-vis des initiatives de la BCE n'est pas nouveau, ont dit des sources de banques centrales à Reuters.
L'euro a dans un premier temps profité de ces annonces pour atteindre son plus haut niveau depuis trois semaines mais il est vite reparti à la baisse et s'échangeait à 1,0630 dollar à 15h00 GMT, en repli de 1,1% par rapport à la veille.
Parallèlement, les rendements des emprunts d'Etat de la zone euro étaient orientés à la baisse tandis que les Bourses poursuivaient leur progression.
"Moins mais plus longtemps, c'est la conclusion de la BCE pour l'instant", a commenté Peter Chatwell, stratège de la banque Mizuho. "Toutefois, qu'on ne s'y trompe pas, la BCE a bel et bien assoupli sa politique monétaire. De plus, une mise en oeuvre plus lente mais prolongée signifie bien qu'en décembre 2017 et en 2018, (le programme d'achats d'obligations) pourrait être supérieur à ce que nous avions prévu."
Le président de la BCE, Mario Draghi, a souligné, lors de sa conférence de presse, qu'il ne s'engageait pas sur la voie d'un allègement progressif ("tapering" en anglais) de l'assouplissement quantitatif (QE), principale composante de sa politique monétaire depuis près de deux ans.
DRAGHI PARLE D'UNE DÉMARCHE "PRAGMATIQUE ET FLEXIBLE"
"Il n'a pas été question de tapering", a-t-il dit. "Le tapering n'a pas été débattu aujourd'hui."
La BCE, qui a laissé ses taux directeurs inchangés, a insisté sur le fait que les nouvelles modalités du QE pouvaient être assouplies et qu'elles le seraient effectivement en cas de besoin.
"Si, dans l'intervalle, les perspectives deviennent moins favorables ou si les conditions financières deviennent incompatibles avec de nouveaux progrès vers un ajustement durable de la trajectoire de l'inflation, le Conseil des gouverneurs entend augmenter le programme en termes de montants et/ou de durée", a-t-elle expliqué.
"L'incertitude prévaut partout (...) C'est la raison pour laquelle cette phrase figure dans la déclaration introductive", a ajouté Mario Draghi, lors de la conférence de presse, parlant d'une démarche "pragmatique et flexible".
La BCE a aussi confirmé qu'elle allait assouplir les règles encadrant ses achats, pour assurer une mise en oeuvre sans heurts du programme, en étendant celui-ci aux obligations d'une maturité minimale d'un an, contre deux ans pour l'instant, ainsi qu'à celles dont le rendement est inférieur à son taux de dépôt (-0,4%).
La BCE a déjà consacré plus de 1.400 milliards d'euros à des achats d'obligations sur les marchés depuis le lancement du QE en mars 2015, qui vise à faire baisser les taux du crédit et l'euro pour conforter la reprise économique dans la région.
Cette politique peine toutefois à assurer la remontée de l'inflation, qui reste inférieure à 1% en rythme annuel alors que l'institution s'est fixé pour objectif un taux "inférieur à mais proche de 2%".
L'INFLATION PRÉVUE À 1,7% SEULEMENT EN 2019
La BCE a d'ailleurs pris acte jeudi du fait que cette tendance n'évoluerait guère au cours des prochaines années: elle a maintenu sa prévision d'inflation pour cette année à 0,2%, relevé très légèrement celle de 2017 à 1,3% contre 1,2% et réduit celle de 2018 à 1,5% contre 1,6% prévu en septembre.
Prié de dire s'il considérait que la prévision d'inflation 2019, à 1,7%, correspondait à l'objectif visé, Mario Draghi a répondu: "Pas vraiment, donc nous devons persister."
Si la hausse des prix s'est accélérée ces derniers mois, cela est dû pour l'essentiel au fait que l'impact de la faiblesse des prix pétroliers sur l'évolution de l'inflation s'atténue progressivement.
Malgré cette faiblesse, certains pays de la zone euro, dont l'Allemagne, plaident depuis longtemps déjà pour une réduction progressive du soutien monétaire.
Evoquant un autre sujet de préoccupation, celui de la santé des banques italiennes et des risques d'instabilité après la chute du gouvernement de Matteo Renzi cette semaine, Mario Draghi est resté prudent.
"Les vulnérabilités à la fois du système bancaire et de l'Italie existent depuis longtemps. Il faut donc y remédier et je suis sûr que le gouvernement sait ce qu'il faut faire et qu'elles seront traitées", a-t-il dit.
Le problème le plus urgent du secteur bancaire italien reste la recapitalisation de Banca Monte dei Paschi di Siena (MI:BMPS), que la crise politique pourrait compromettre.
La troisième banque de la péninsule, qui a besoin de lever cinq milliards d'euros pour renforcer son bilan, a demandé mercredi soir à la BCE un délai supplémentaire mais l'institution - qui assure la supervision des grandes banques de la zone euro - n'a pas encore fait connaître sa réponse.
(Marc Angrand pour le service français, édité par Wilfrid Exbrayat)