par Marine Pennetier
PARIS (Reuters) - Fort de ses 19,6% au premier tour de la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon est bien placé pour prendre le leadership à gauche mais pourrait faire les frais d'un électorat trop volatil pour transformer l'essai aux législatives, estiment les analystes.
"Le vrai problème, c'est que l'électorat de Mélenchon a un rapport au parti relativement distant", souligne Vincent Tiberj, professeur à Sciences-Po Bordeaux. "Ils peuvent bouger d'un parti à l'autre au sein d'un camp, clairement ce n'est pas un matelas de voix stable sur lequel il peut s'appuyer".
"Plus globalement, il est vraiment extrêmement dur de prévoir qui va se déplacer aux prochaines législatives, ça vaut aussi pour les autres partis", ajoute-t-il, à l'issue d'une campagne présidentielle inédite marquée par une série de rebondissements et un fort nombre d'électeurs indécis.
Sur le papier, le candidat de la France insoumise (FI) aborde en position de force à gauche les scrutins des 11 et 18 juin, face à un Parti socialiste laminé qui a enregistré une défaite historique au premier tour et qui est plus que jamais traversé par d'importantes lignes de fracture.
Devançant de 13 points le candidat socialiste Benoît Hamon, l'eurodéputé a conquis dimanche après plusieurs mois de campagne innovante un électorat jeune (30% des 18-24 ans selon Ipsos (PA:ISOS)) et est arrivé en tête dans quatre des dix plus grandes villes de France (Lille, Marseille, Montpellier, Toulouse).
"On est en capacité de poursuivre cette dynamique en vue de faire élire un grand nombre de députés insoumises et insoumis aux prochaines législatives", estime Danielle Simonnet, coordinatrice du Parti de Gauche et porte-parole de Jean-Luc Mélenchon. "On a des ambitions à la hauteur de notre score."
PAS D'ADDITIONS DE LOGOS
Pour l'heure, le mouvement, créé en février 2016 pour porter la candidature de Jean-Luc Mélenchon - candidature qui a reçu le soutien en novembre des militants communistes - exclut tout "arrangement" avec les autres partis en vue des législatives.
"La démarche de la FI ce n'est pas l'addition de logos et d'accords entre forces mais de fédérer le peuple", souligne Danielle Simonnet, selon laquelle, même si "les portes sont ouvertes", il faut "garder cette cohérence France insoumise".
Au sein du mouvement, on explique vouloir à tout prix éviter un "cartel de partis", une structure responsable selon Jean-Luc Mélenchon de la défaite aux législatives de 2012.
A l'époque, celui qui était alors candidat du Front de Gauche, alliance notamment du Parti de Gauche et du PCF, n'était pas parvenu à concrétiser son score à la présidentielle - 11,1% - lors des élections législatives.
Seuls dix députés de la gauche radicale avaient rejoint l'hémicycle contre 19 en 2007 et le candidat s'était lourdement incliné face à Marine Le Pen à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais).
"La même chose peut se reproduire, l'enjeu pour Jean-Luc Mélenchon va être d'être capable de structurer autour de lui", estime Vincent Tiberj.
"Le principal problème de Mélenchon c'est Mélenchon lui-même", poursuit-il. "Il a cette capacité oratoire, une vision de la société extrêmement structurée et, dans le même temps, quand il s'agit de faire des compromis, il n'y parvient pas".
Est-ce que les électeurs "auront envie de voter pour des représentants de la France insoumise qu'ils ne connaissent pas, qui n'ont pas forcement l’aura de Jean-Luc Mélenchon?", s'interroge pour sa part Gaël Sliman, directeur de l'institut Odoxa. "Ce n'est pas évident".
"Ce n’est pas du tout gagné que Jean-Luc Mélenchon transforme l’essai aux législatives et réalise un score presque comparable à celui qu’il a réalisé au premier tour de la présidentielle. Ce qui le guette plus probablement c’est un syndrome Bayrou et MoDem, en 2007", ajoute le politologue.
APPELS DU PIED ET TENSIONS
A cette inconnue s'ajoutent les tensions avec les communistes chez qui la volonté de la France insoumise de présenter des candidats dans les 577 circonscriptions et de faire signer une "charte" à tous les candidats passe mal.
"Face à des députés communistes sortants qui appellent à voter Jean-Luc Mélenchon, on ne voit pas pourquoi il y aurait un candidat de la France insoumise", s'agaçait en janvier le secrétaire général du PCF, Pierre Laurent, sur Mediapart. "Ou alors, il faut accepter tous ensemble de se tirer une balle dans le pied !",
"Nous butons très souvent dans le dialogue avec la France insoumise sur une attitude très rigide de nos partenaires."
Au PS, dès dimanche soir, face à la crainte de subir une nouvelle défaite cinglante, plusieurs élus issus de l'aile gauche du parti ont fait un appel du pied à Jean-Luc Mélenchon.
"Il faut repenser le projet et la stratégie à gauche", a notamment dit Mathieu Hanotin, directeur de campagne de Benoît Hamon. "Il faut réfléchir sur les espaces politiques plutôt qu’avec les appareils. Il faudra parler avec Jean-Luc Mélenchon, c’est évident".
Un avis loin de faire l’unanimité au PS, où l’aile droite notamment représentée par Manuel Valls envisage plutôt un rapprochement avec Emmanuel Macron, pour qui l’ancien Premier ministre a appelé à voter dès le 1er tour.
A l'heure actuelle, dix élus Front de Gauche siègent à l'Assemblée au sein du groupe la Gauche démocrate et républicaine (GDR) et une vingtaine au Sénat au sein du groupe communiste, républicain et citoyen (CRC).
(avec Elizabeth Pineau et Hélène Dauschy, édité par Yves Clarisse)