Maurice Lévy, qui quitte jeudi la direction de Publicis (PA:PUBP) à 75 ans, a transformé en presque trente ans de règne une entreprise familiale en numéro trois mondial de la publicité.
"Jeune homme, un jour, vous dirigerez cette maison", lui avait prédit le fondateur Marcel Bleustein-Blanchet, un jour de mars 1971, alors qu'il était venu présenter sa candidature pour diriger l'informatique du groupe. Il avait 29 ans.
Maurice Lévy s'est très vite rendu indispensable à Publicis. Il a notamment eu l'excellente idée de sauvegarder les données sur des bandes magnétiques, une initiative qui s'est révélée particulièrement utile quand le siège du groupe, en haut des Champs-Elysées à Paris, a été détruit par un incendie en septembre 1972.
Informaticien, il est devenu publicitaire, et Marcel Bleustein-Blanchet en a rapidement fait son homme de confiance et son héritier. Non sans le mettre constamment à l'épreuve.
Maurice Lévy a ainsi dirigé l'agence Publicis Conseil, le vaisseau amiral, dès 1976.
Marcel Bleustein-Blanchet lui a finalement cédé la place à la tête du groupe fin 1987, à 81 ans, avec, disait-il, un "droit de révocation". S'il ne l'a pas exercé, il est resté bien présent jusqu'à sa mort en 1996. Il a d'ailleurs créé sur mesure un conseil de surveillance dont il a pris la présidence.
- "I am the boss" -
Après la disparition du fondateur, Maurice Lévy s'est imposé comme le maître incontesté de Publicis, bénéficiant de la confiance d'Elisabeth Badinter, fille de Marcel Bleustein-Blanchet. Sous sa direction entre 1987 et 2017, les effectifs ont été multipliés par 25, le chiffre d'affaires par 44 et la capitalisation boursière par 93.
Non sans quelques soubresauts, comme quand son bonus de 16 millions d'euros a fait scandale pendant la campagne présidentielle de 2012.
Maurice Lévy en impose. Grand, athlétique, regard bleu enveloppant sous une crinière désormais blanchie, il aime séduire, il a une attention pour chacun - et il se souvient des gens, aidé par une mémoire d'éléphant - toujours un bon mot, un souvenir à partager. Homme de contacts et de réseaux, toujours à l'affût, l'organisateur du Forum de Davos a l'un des plus beaux carnets d'adresses de la planète.
Grand amateur de nouvelles technologies, il est un fin observateur du monde. On lui doit notamment le mot "ubérisation".
Sur son bureau avenue des Champs-Elysées, il y avait toujours - outre un pot rempli de bonbons - un mug "I am the boss" (je suis le patron). Bel exemple d'autodérision ! Mais c'était bien lui le patron, comme il le rappelait encore dans ses voeux 2017, une vidéo humoristique où les déménageurs de son bureau n'arrivaient pas à embarquer ledit mug.
- Conseil de surveillance -
Son départ, initialement annoncé pour 2010, a été plusieurs fois repoussé, notamment suite à l'échec en 2014 d'un projet de fusion avec le rival américain Omnicom.
Il ne quitte finalement pas le groupe puisqu'il succède à Elisabeth Badinter à la tête du conseil de surveillance. Il ne manquera pas d'y garder un oeil sur la gestion de son successeur Arthur Sadoun, qui à 46 ans devient le troisième patron de Publicis en quatre-vingt-onze ans.
"Je ne serai pas opérationnel, mais je serai actif, en partie pour le groupe, et en partie pour une idée que j'ai", a indiqué Maurice Lévy à des journalistes. Il pourrait s'agir de créer une start-up.
Il assure aussi avoir promis à sa femme de consacrer plus de temps à sa famille. Une famille sur laquelle il est toujours resté très discret, la mettant à l'écart du monde de Publicis. "Ça a été toujours mon mode de fonctionnement", expliquait-il en février. Et s'il est "très fier" de sa femme - psychologue pour enfants -, de ses trois fils et de ses petits enfants, il n'a jamais mis de photos ni objets personnels dans son bureau.
Né à Oujda, au Maroc, le 18 février 1942, ce fils de juifs espagnols qui avaient fui le franquisme est resté fidèle à ses racines. Et s'il s'est toujours montré très attaché à Israël, il est un franc partisan du dialogue pour la paix au Proche-Orient.