Dix-sept théâtres privés, dont douze à Paris, se préparent à diffuser des publicités et des bandes annonces comme au cinéma, une innovation prévue pour novembre qui dérange autant qu'elle séduit dans cet îlot jusque-là préservé.
"Notre offre répond à deux problèmes des théâtres: un, comment faire la promotion de leurs propres spectacles, deux, comment pallier la baisse des financements, notamment publics", explique Alexandre Vernier, directeur général de ODW Régie, à l'origine du projet.
L'agence propose aux théâtres un cocktail d'annonces de 4 minutes, dont 2 minutes de publicité classique et 2 minutes de promotion des spectacles des salles concernées, qui passeront au début de la représentation.
"L'idée est de ne pas gêner le spectateur, tout en lui offrant de quoi patienter. Le théâtre est un lieu prestigieux, et nous proposerons uniquement des annonces nationales plutôt haut de gamme: voitures, bijou, parfumerie...", détaille Alexandre Vernier.
L'installation du projecteur automatisé et de l'écran est prise en charge dans le "package" proposé aux théâtres, qui partagent les recettes des annonces avec l'agence.
Les Feux de la Rampe, avec ses 4 salles de 60 à 314 places dans le IXe arrondissement près des Folies Bergère a immédiatement mordu à l'hameçon.
"Le fait qu'il y ait une partie d'auto-promotion est vraiment intéressant pour nous, on n'a pas des moyens de dingues, la publicité ça coûte cher .. quand je vais au cinéma, les bandes annonces me donnent envie de voir des films, et j'espère que ce sera le cas pour notre public", explique Karine Marchi, co-directrice du théâtre avec Frédéric Yana.
"Le revenu attendu (autour de 50.000 euros la première année) n'est pas négligeable, sachant que l'activité est difficile depuis les attentats de 2015", remarque-t-elle.
La longue période électorale n'a pas aidé, avec son cortège d'incertitudes et de rebondissements: "les Français thésaurisaient plus qu'ils ne dépensaient", dit-elle.
- 'Teasing' -
Les bandes annonces sont déjà une pratique courante dans le théâtre, surtout pour l'humour et la comédie. Les compagnies réalisent de courtes vidéos pour vendre leur spectacle aux producteurs et diffuser sur les réseaux sociaux comme "teasing" du spectateur.
Pour l'heure, ce sont surtout des théâtres privés proposant comédies et spectacles d'humour (le Palais des Glaces, L'Apollo, le Gymnase, La Comédie Bastille, l'Alambic, la Comédie Saint-Martin, la Grande Comédie ...) qui ont opté pour la pub, mais parmi la trentaine d'autres théâtres en négociation, on trouve aussi des théâtres municipaux en mal de subventions publiques, selon ODW.
L'agence était convaincue d'avoir inventé le concept avant de démarcher Jacques Mailhot, propriétaire du cabaret de chansonniers "Les 2 Anes". "J'ai trouvé en rachetant le théâtre en 1995 une cabine de projection dans la salle", raconte-t-il. "Il y avait de la publicité, et aussi des rideaux de scène, comme au cinéma, avec des annonces écrites. Je pense que les projections en 35 mm ont dû s'arrêter en 1964", raconte-t-il.
Jacques Mailhot a décliné l'offre: "On est déjà très agressé par la publicité partout, faut-il en rajouter?" interroge-t-il. "On essaie d'instaurer une convivialité dès que les gens entrent dans la salle, en diffusant une musique discrète et en rapport avec le spectacle, j'aurais peur de les agresser avec la pub". Il juge par ailleurs négligeable le gain escompté.
Bernard Murat, directeur du théâtre Edouard VII et président du Syndicat du théâtre privé laisse chaque théâtre maître de sa décision mais juge que la recherche de revenus publicitaires est "l'expression d'un désarroi".
"Je pense qu'on doit pouvoir trouver d'autres moyens qui nous sont dus, notamment par l'Etat dans le cadre de notre mission de service public", dit-il.
"J'espère qu'un jour il n'y aura pas d'entractes avec de la publicité ou encore qu'on n'obligera pas des acteurs à s'arrêter avant une réplique pour passer une publicité, assène-t-il. Ca confine au ridicule."