par Daria Sito-Sucic et Maja Zuvela
POTOCARI, Bosnie (Reuters) - Le Premier ministre serbe, Aleksandar Vucic, a été chassé samedi de la cérémonie de commémoration du massacre de Srebrenica, il y a vingt ans en Bosnie, par une foule en colère qui lui lançait des pierres et des bouteilles.
Certains manifestants criaient "Allahou Akbar" -- "Dieu est grand", en arabe.
Le dirigeant serbe avait prévenu qu'il n'assisterait pas aux cérémonies si le massacre avait été qualifié de "génocide" par le Conseil de sécurité de l'Onu, initiative à laquelle la Russie, alliée de Belgrade, a opposé son veto cette semaine.
Les gardes du corps d'Aleksandar Vucic ont dû lui frayer un passage au milieu de la foule en colère, en le protégeant des projectiles avec un parapluie, pour le reconduire jusqu'à sa voiture.
Le ministre serbe de l'Intérieur, Nebojsa Stefanovic, a dénoncé une "tentative d'assassinat" contre le chef du gouvernement. "C'est une attaque choquante et je pense qu'on peut parler de tentative d'assassinat (...) La Bosnie n'a pas été capable d'assurer la sécurité du Premier ministre", a-t-il déclaré à la télévision.
A son retour à Belgrade, sans ses lunettes, cassées selon lui dans l'incident, Aleksandar Vucic a dénoncé "une attaque préméditée" et a réuni d'urgence le conseil des ministres.
"Je suis désolé que certains n'aient pas reconnu mon désir sincère de construire une relation d'amitié entre Serbes et Bosniaques", a-t-il dit. "Je tends toujours la main au peuple bosniaque", a-t-il ajouté.
"IL N'A PAS HONTE ?"
Les autorités serbes ont annoncé qu'elles transmettraient une note de protestation à la Bosnie.
Le Premier ministre serbe avait été accueilli au mémorial du massacre par Munira Subasic, dirigeante de l'Association des mères de Srebrenica. Dans le livre de condoléances, il a écrit : "Ici, à Srebrenica, chacun de nous doit s'incliner, ne pas oublier et commencer à bâtir un avenir différent".
Dans le cimetière, des manifestants avaient déployé une banderole portant une phrase attribuée à Vucic pendant la guerre : "Pour chaque Serbe tué, nous tuerons cent musulmans".
Après les violences, Munira Subasic s'est dite "extrêmement déçue".
De nombreux Serbes, dont le pays soutenait militairement et financièrement les Serbes de Bosnie pendant le conflit, refusent de parler de génocide pour ce qu'Aleksandar Vucic a qualifié samedi de "massacre impardonnable".
La présence du Premier ministre serbe, chantre de la "Grande Serbie" dans les années 1990, a réveillé la douleur et la colère des habitants bosniaques de Srebrenica.
"Regardez-le (Vucic) et regardez ces milliers de pierres tombales", s'est exclamée Hamida Dzanovic, venue inhumer deux os dont les analyses ADN ont récemment établi qu'ils provenaient du corps de son mari. "Il n'a pas honte de dire que ce n'était pas un génocide ? Il n'a pas honte de venir ici ?".
Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont participé aux commémorations du plus grand massacre commis en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.
"SUPERCHERIE"
Abandonnés vers la fin de la guerre de Bosnie (1992-1995) par les casques bleus de l'Onu qui devaient les protéger, 8.000 musulmans de sexe masculin, hommes et garçons, ont été exécutés par les forces serbes de Bosnie en cinq jours au mois de juillet 1995. Leurs corps ont été jetés dans des fosses communes pour ensuite être exhumés quelques mois plus tard et éparpillés dans des tombes plus petites dans le but de camoufler ces crimes.
Aujourd'hui, il reste encore un millier de victimes à retrouver. Samedi, les restes des 136 victimes récemment identifiées ont été inhumés dans des tombes de marbre blanc au mémorial de Potocari, dans l'est de la Bosnie.
La délégation américaine était dirigée par Bill Clinton, qui était président à l'époque du massacre. L'ancienne secrétaire d'Etat et ambassadrice des Etats-Unis aux Nations unies Madeleine Albright était aussi du voyage.
De nombreux Serbes nient toujours ce qui s'est passé à l'été 1995 et récusent le terme de génocide employé par le Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie (TPIY). Ils préfèrent parler de "crime grave".
Le mois dernier, Milorad Dodik, le président de la république serbe de Bosnie, une des trois entités qui composent la Bosnie-Herzégovine, a jugé que le massacre était la "plus grande supercherie du XXe siècle".
Vendredi, la Russie a dit souhaiter que les responsables du massacre de Srebrenica soient livrés à la justice et jugés.
Les instigateurs présumés du massacre, l'ancien président des Serbes de Bosnie Radovan Karadzic et son commandant militaire Ratko Mladic sont toujours en cours de jugement devant TPIY à La Haye.
(Avec Aleksandar Vasovic à Belgrade, Danielle Rouquié, Tangi Salaün et Guy Kerivel pour le service français)