par Blandine Henault et Elizabeth Pineau
PARIS (Reuters) - Le gouvernement s'est résolu jeudi à recourir à l'article 49.3 de la Constitution pour faire adopter sans vote sa réforme des retraites, faute d'être assuré d'obtenir une majorité sur le texte à l'Assemblée nationale, déclenchant un tollé dans l'hémicycle et une vague de protestations parmi les opposants au projet.
Dans la matinée, le Sénat avait adopté sans surprise la réforme défendue par l'exécutif, qui anticipait un vote beaucoup plus serré à l'Assemblée nationale, où il ne dispose pas de la majorité absolue.
S'exprimant à la tribune du Palais Bourbon (EPA:GPBN) dans un brouhaha général, avec appels à la "démission" et autre "Marseillaise" en provenance des rangs des députés La France insoumise (LFI), la Première ministre Elisabeth Borne a engagé la responsabilité de son gouvernement.
"Aujourd'hui, sur le texte du Parlement, l'incertitude plane à quelques voix près. On ne peut pas prendre le risque de voir 175 heures de débat parlementaire s'effondrer", a-t-elle justifié.
"On ne peut pas faire de pari sur l'avenir de nos retraites, cette réforme est nécessaire", a poursuivi celle qui dirige le gouvernement depuis mai dernier.
Avec le recours au 49.3, le projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale, unanimement rejeté par les syndicats et contesté depuis des semaines dans la rue, sera considéré comme adopté sauf si une motion de censure est déposée dans les 24 heures puis votée par une majorité à la chambre basse.
La présidente du groupe Rassemblement national (RN), Marine Le Pen, a annoncé dans la foulée le dépôt d'une motion de censure et demandé la démission d'Elisabeth Borne.
"Elle ne peut pas rester dans ces circonstances", a déclaré l'ex-présidente du parti d'extrême-droite et double finaliste de l'élection présidentielle.
La présidente du groupe LFI à l'Assemblée nationale, Mathilde Panot, a dit son intention de déposer une motion de censure contre un gouvernement qui "enfonce le pays tout entier dans une crise de régime".
RISQUES "TROP GRANDS"
Une motion de censure devrait aussi être déposée par le groupe centriste Liot, fort de 20 membres, associé à d'autres élus, un minimum de 58 députés étant requis.
Le président des Républicains (LR), Eric Ciotti, a fait savoir que son camp ne s'associerait à "aucune motion de censure", mais certains députés de son parti n'ont pas exclu de voter une motion du groupe Liot, à l'instar du député Aurélien Pradié qui a dit sur BFM n'écarter "aucune hypothèse".
Emmanuel Macron, qui a présidé jeudi plusieurs réunions à l'Elysée, avait la "volonté politique d'aller au vote" mais il a considéré "qu'en l'état, les risques financiers, économiques étaient trop grands", a fait savoir à Reuters un participant aux discussions à l'Elysée.
"Jusqu'à la dernière minute, nous avons tout mis en oeuvre pour réunir une majorité sur ce texte", a affirmé Elisabeth Borne dans la soirée sur TF1 (EPA:TFFP), bottant en touche sur son éventuel maintien à la tête du gouvernement.
"Ce n'est pas un enjeu personnel", a-t-elle dit.
L'examen du projet de loi à l'Assemblée nationale avait déjà connu d'importants remous en première lecture et n'avait pas pu aboutir en raison de débats houleux et des très nombreux amendements déposés par l'opposition.
Mercredi, un accord sur une version commune du projet de loi avait été trouvé en commission mixte paritaire (CMP) mais les députés Les Républicains, dont les voix étaient essentielles pour permettre au gouvernement d'obtenir une majorité, restaient très partagés.
"Nous n'avons pas eu l'unanimité dans notre groupe, mais il est très clair que la majorité [présidentielle] non plus n'était pas unanime", a réagi Eric Ciotti, qui s'était prononcé personnellement en faveur du texte.
"Le gouvernement a gâché cette réforme (...) par une méthode qui n'était pas adaptée", a-t-il ajouté, refusant de faire porter la responsabilité du 49.3 aux Républicains.
NOUVELLE MOBILISATION LE 23 MARS
Non loin de l'Assemblée nationale, devant laquelle s'étaient déployées les forces de l'ordre, une manifestation spontanée s'est formée place de la Concorde, qui a réuni en début de soirée entre 5.000 et 10.000 personnes selon un chiffrage de Reuters avant que la police ne commence à évacuer lieux.
Les organisations syndicales avaient déjà prévenu que le recours à l'article 49.3 constituerait un "vice démocratique" susceptible d'aggraver le mécontentement social, après des semaines de contestation dans la rue sur la réforme prévoyant le report de l'âge légal de la retraite de 62 ans à 64 ans.
Réunie dans la soirée, l'intersyndicale a de nouveau exigé le retrait d'une réforme jugée "brutale, injuste et injustifiée pour l'ensemble du monde du travail".
Elle a appelé à une nouvelle journée de grève et de manifestations dans toute la France le jeudi 23 mars - ce qui constituerait un neuvième opus dans la mobilisation nationale entamée en début d'année.
L'intersyndicale a aussi évoqué "des rassemblements syndicaux de proximité" durant le week-end.
(Reportage Blandine Hénault et Elizabeth Pineau, avec la contribution de Jean-Stéphane Brosse, édité par Kate Entringer et Jean Terzian)