Les trois lauréats du Prix Nobel 2010 d'économie, décerné lundi, ont mis en évidence les imperfections du marché du travail et l'existence d'un chômage structurel, des théories d'inspiration libérale qui ont débouché sur une certaine flexibilité.
Les Américains Peter Diamond et Dale Mortensen, ainsi que Christopher Pissarides, un chercheur britannico-chypriote, ont été récompensés pour "leur analyse des marchés et des frictions" entravant la rencontre entre l'offre et la demande.
"Ils ont mis au point des outils formidables, des modèles qui rendent compte de l'économie telle qu'elle est", affirme à l'AFP Etienne Wasmer, professeur à Sciences-Po à Paris, dont Christopher Pissarides fut le directeur de thèse.
"C'est une contribution fondamentale qui a permis de mieux comprendre les frictions du marché du travail: pourquoi il peut y avoir au même moment des chômeurs qui ne trouvent pas d'emploi et des offres d'emploi qui ne trouvent pas preneur", renchérit Stefano Scarpetta, responsable des politiques de l'emploi à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Le constat de départ, formulé par les trois économistes, soulève le problème de l'"appariement", en clair la rencontre de l'offre et de la demande sur le marché du travail, lié une mobilité et une information imparfaites.
Cela permet de décrire un chômage structurel dû en partie, selon ces théoriciens, à l'inadéquation du code du travail et des institutions qui régissent le marché de l'emploi.
Eric Heyer, de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) y voit "un modèle d'inspiration libérale". "Dans la notion libérale de concurrence pure et parfaite, pour que ça fonctionne bien, il faut qu'il y ait une information et une mobilité parfaites", explique-t-il.
Le trio nobélisé insiste aussi sur la notion d'allocation chômage: plus elle est importante, plus le taux de chômage est élevé et la durée de recherche est longue. Mais cette idée a été ensuite nuancée par leurs travaux ultérieurs.
"Peter Diamond a montré que le fait de donner une assurance chômage plus élevée permettait aux gens de choisir un meilleur emploi, ce qui peut avoir une efficacité supérieure pour l'économie", fait ainsi valoir Etienne Wasmer.
De la même manière, explique Amine Ouazad, de la London School of Economics, "ces théories permettent de comprendre qu'une hausse des salaires peut accroître l'emploi, contrairement aux attentes", les chômeurs étant davantage incités à chercher un travail.
En France, de tels travaux ont pu inspirer des mesures comme la prime pour l'emploi ou le revenu de solidarité active (RSA), censées inciter les chômeurs à revenir à la vie active sans perte de revenus. Selon la ministre de l'Economie Christine Lagarde, ils ont aussi inspiré la fusion de l'organisme chargé d'aider les chômeurs à trouver un emploi et celui chargé de les indemniser.
L'OCDE, qui réunit les pays les plus riches de la planète, a en tout cas fait siennes les théories des trois Nobel.
"Elles montrent qu'on peut améliorer le système si les allocations chômage sont accompagnées de sanctions pour ceux qui ne cherchent pas activement un emploi mais aussi de politiques qui facilitent la transition vers le travail comme la formation, les conseils, etc.", assure Stefano Scarpetta.
"C'est essentiel en ce moment, alors que le chômage est très élevé à cause de la crise, et qu'il faut intervenir le plus tôt possible pour réorienter les chômeurs vers de nouveaux emplois avant qu'ils ne s'enlisent."
Pour Jérôme Gautier, enseignant à la Sorbonne, on peut au contraire "s'interroger sur la pertinence de ces théories dans la crise actuelle où les facteurs structurels sont quand même secondaires pour expliquer la grande part du chômage".