par Karin Strohecker
VIENNE (Reuters) - L'Autriche et l'Allemagne ont ouvert leurs frontières samedi à des milliers de migrants et de réfugiés épuisés, que les autorités hongroises ont acheminés en autocars après avoir tenté en vain d'empêcher leur passage.
En début d'après-midi, 6.500 migrants étaient arrivés en Autriche et 2.200 d'entre eux poursuivaient leur route vers l'Allemagne, selon la ministre autrichienne de l'Intérieur, Johanna Mikl-Leitner.
La police allemande, qui table sur 10.000 arrivées dans la journée, a dit qu'un premier train spécial en provenance d'Autriche était entré en gare de Munich avec 450 passagers.
Au terme de plusieurs jours de confrontation et de chaos, le gouvernement hongrois de Viktor Orban a décidé vendredi d'affréter une centaine de cars pour acheminer des milliers de migrants à la frontière autrichienne.
A Budapest, la gare principale, qui s'était vidée la veille, se remplissait à nouveau samedi, mais le trafic vers l'Europe était toujours suspendu. Comme vendredi, plusieurs centaines de migrants et de réfugiés, dont beaucoup fuient la guerre civile en Syrie, ont donc décidé de gagner l'Autriche à pied.
A la frontière, emmitouflés dans des couvertures ou des sacs de couchage pour se protéger de la pluie, portant pour certains des enfants endormis, les réfugiés sont descendus des cars pour pénétrer à pied à Nickelsdorf, côté autrichien, où des travailleurs humanitaires leur ont distribué de l'eau et des fruits. Quelques habitants agitaient des pancartes souhaitant la "bienvenue aux réfugiés".
Des trains spéciaux, ainsi que des cars, ont été mis en place pour qu'ils puissent poursuivre leur chemin vers Vienne ou l'Allemagne. La compagnie ferroviaire autrichienne a annoncé la mise à disposition de 4.500 places supplémentaires.
"C'était une situation horrible en Hongrie", a raconté Omar, arrivé à Vienne avec sa famille.
A Budapest, les autorités hongroises assurent que initiative de vendredi n'aura pas de suite, bien que les migrants continuent à affluer.
Selon le Premier ministre, Viktor Orban, la police sera déployée à la frontière sud après le 15 septembre pour enrayer l'afflux et l'armée sera également mise à contribution si le parlement donne son feu vert.
"Le grand changement interviendra après le 15 septembre (...) et nous mettrons la frontière sous contrôle petit à petit. Nous enverrons la police, puis, si nous obtenons l'aval du Parlement, nous déploierons l'armée.
"Il ne s'agit pas de 150.000 (migrants), que certains veulent répartir sur la base de quotas, ni de 500.000, chiffre que j'ai entendu à Bruxelles, ce sont des millions, puis des dizaines de millions, parce que l'afflux d'immigrants est sans fin", a ajouté le chef du gouvernement.
Selon les autorités, 165.000 migrants sont arrivés cette année en Hongrie via la Serbie.
L'EUROPE DIVISÉE
L'ouverture des frontières autrichienne et allemande montre que les règles européennes en matière de demandes d'asile sont devenues intenables.
En vertu de la convention de Dublin, il appartenait théoriquement à la Hongrie, sur la frontière sud-est de l'Union européenne, en tant que premier pays d'arrivée sur le territoire communautaire, de prendre en charge les demandes d'asile.
L'Italie et la Grèce sont également débordées, plus de 300.000 migrants et réfugiés ayant franchi la Méditerranée depuis le début de l'année, d'après les chiffres du Haut commissariat de l'Onu pour les réfugiés (HCR).
"Le défi pour l'Europe n'est pas seulement le nombre élevé de réfugiés, mais aussi le fait que le mécanisme de Dublin ne fonctionne pas", a déclaré jeudi à Reuters le ministre autrichien des Affaires étrangères, Sebastian Kurz.
Les lignes de fracture entre les Vingt-Huit sur la réponse à apporter à la crise sont criantes.
Alors que l'Allemagne et la France, à la suite de la Commission européenne, plaident pour un mécanisme "permanent et obligatoire" de répartition des réfugiés syriens, la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie et la Pologne rejettent toujours à la mise en place de quotas de répartition. Le gouvernement polonais s'est dit prêt samedi à accueillir 2.000 réfugiés.
QUOTAS
Réunis à Prague, ces quatre pays, membres du groupe dit de Visegrád, ont insisté vendredi sur la nécessité pour l'Union européenne de renforcer le contrôle de ses frontières, de combattre les réseaux de passeurs et d'établir de nouveaux "hot spots", des centres d'accueil et de tri des migrants dans les pays où ils arrivent.
Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, proposera mercredi prochain aux Européens de porter de 40.000 à 160.000 le nombre de demandeurs d'asile arrivés en Italie, en Grèce et en Hongrie à répartir dans les autres pays de l'Union sur la base de quotas nationaux.
Ce n'est pas la première fois que l'exécutif européen propose des quotas contraignants baptisés "clés de répartition". Exposé en mai, le principe avait été rejeté en juin.
L'Allemagne et la France s'y sont finalement ralliées jeudi, après la vague d'indignation soulevée par la photographie d'un petit Syrien sur une plage turque mort noyé alors qu'il tentait de gagner la Grèce avec sa famille.
"Il est incroyable que pendant la crise financière, il était possible de se rencontrer en permanence pour trouver une solution commune et qu'avec cette crise des réfugiés, rien ne se passe pendant des semaines ou des mois", déplorait cette semaine le chef de la diplomatie autrichienne.
"Le monde est en mouvement (...), des millions de femmes, d'hommes et d'enfants, une armée sans défense qui marche vers la sécurité. Ces gens qui fuient la violence et la mort sont-ils nos ennemis, ou faut-il considérer que nos ennemis sont les guerre et le terrorisme international ?", a renchéri samedi le président italien, Sergio Mattarella.
(avec Krisztina Than à Hegyeshalom, côté hongrois de la frontière, Sandor Peto à Budapest et Michael Nienaber à Berlin, Tangi Salaün, Henri-Pierre André et Jean-Philippe Lefief pour le service français, édité par Gilles Trequesser)