par Gleb Stolyarov et Jack Stubbs
MOSCOU (Reuters) - La dépréciation continue du rouble handicape lourdement les constructeurs automobiles russes en faisant monter les coûts des composants importés dont ils ne peuvent se passer, ce qui les oblige à relever leurs prix sur le marché intérieur et nuit à leur compétitivité à l'export.
Après une décennie de croissance supérieure à 10% l'an, le secteur automobile russe est ainsi devenu l'une des principales victimes de la crise économique, elle-même alimentée par la chute des prix des hydrocarbures et les sanctions occidentales liées à la situation en Ukraine.
Les ventes de voitures en Russie ont été divisées par deux depuis leur pic de 2012-2013, lorsque, pendant quelques mois, le pays avait ravi à l'Allemagne le titre de premier marché automobile d'Europe pour se hisser au huitième rang mondial. Aujourd'hui, il n'est plus que cinquième à l'échelon européen et douzième dans le monde.
La baisse du rouble a fait s'envoler les coûts des constructeurs russes qui, à la différence de ceux des autres grands marchés automobiles, sont très dépendants des importations de composants, qu'ils paient en dollars et en euros.
En 2012-2013, le rouble se traitait autour de 30 pour un dollar; aujourd'hui, un dollar vaut environ 65 roubles. Une même pièce détachée importée a ainsi vu son prix en roubles plus que doubler en deux ans.
Cette envolée a contraint les constructeurs locaux à relever leurs prix, alors même que l'économie est en récession (le produit intérieur brut a reculé de 4,6% au deuxième trimestre), que les entreprises réduisent les effectifs et les salaires et que la hausse des prix des produits alimentaires dépasse 20% sur un an, ce qui décourage les achats de voitures.
Un regain de faiblesse du rouble ces dernières semaines - il a perdu 15% face au dollar depuis début juillet - devrait conduire à de nouvelles hausses de prix et donc peser sur les ventes.
"Si le rouble se stabilisait au niveau actuel jusqu'à la fin de l'année, le marché devrait baisser de 28% à 30%", estime Vladimir Bespalov, analyste de VTB Capital. "Mais si le rouble continue de s'affaiblir, les prix vont monter et la chute du marché pourrait atteindre 35%."
UNE NOUVELLE HAUSSE DES PRIX "INÉVITABLE"
Et l'export est loin de fournir aux constructeurs russes une raison de se consoler. Alors que la baisse d'une monnaie rend généralement les exportations plus compétitives, ce mécanisme ne profite pas aux constructeurs russes en raison de leur dépendance aux composants étrangers.
Leur compétitivité, au lieu de s'améliorer, s'est même dégradée face aux japonais et aux sud-coréens, qui achètent la majorité de leurs composants sur leur propre marché.
A 49.000 unités, les exportations automobiles russes ont diminué de 27% sur les six premiers mois de l'année par rapport au premier semestre 2014. Et la majeure partie d'entre elles sont vendues dans des pays de la Communauté des Etats indépendants (CEI), comme la Biélorussie et le Kazakhstan.
Volkswagen (XETRA:VOWG) et Ford importent l'un et l'autre plus de la moitié des composants utilisés pour assembler leurs modèles en Russie. Et même le numéro un du marché russe, Avtovaz, propriétaire de la marque Lada et contrôlé par Renault-Nissan, achète hors de Russie environ 20% de ses composants.
General Motors (NYSE:GM), lui, a choisi de retirer sa filiale Opel du marché russe en mars.
Pour tenter de venir en aide au secteur, les autorités de Moscou ont mis en place des mesures censées favoriser la production locale de composants, mais les plus chers et les plus complexes, comme l'électronique, les moteurs ou les suspensions, restent massivement importés.
Kia Motors, qui produit le deuxième modèle le plus vendu en Russie, la nouvelle Rio, affichée à 460.000 roubles (6.350 euros), a augmenté ses prix de 15% entre janvier et juin. Sur la même période, le prix moyen d'une voiture en Russie a augmenté de 18% à 1,16 million de roubles mais les ventes ont reculé de 36%, selon le cabinet d'études spécialisé Autostat et l'Association of European Businesses.
"La dévaluation du rouble augmente les coûts des constructeurs", dit Ioulia Ditchenkova, directrice du concessionnaire Mazda Rolf Khimki. "On a atteint un point critique auquel une nouvelle révision des prix de vente est inévitable."
(Marc Angrand pour le service français)