PARIS (Reuters) - Les émissions d'obligations sécurisées ("covered bonds") représentent 140 milliards d'euros au premier semestre 2023, et pourraient atteindre cette année un niveau record depuis 2011, selon des spécialistes de ces titres obligataires bancaires, une situation qui s'explique par le durcissement de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE).
Les émissions au premier semestre atteignent 140 milliards d'euros, un volume atteint pour la dernière fois en 2011 et qui représente 70% des émissions de l'an dernier, ce alors que les volumes arrivant à maturité en 2023 sont plus faibles, 125 milliards d'euros contre 138 milliards en 2022.
Les obligations sécurisées sont adossées à un portefeuille de prêts hypothécaires ou au secteur publics, qui sécurisent le titre en cas de défaut de l'émetteur, systématiquement un établissement de crédit en zone euro.
REFINANCEMENT
"Ce niveau substantiel d'offre s'explique par le remboursement des opérations de refinancement à plus long terme III (TLTRO III) et les besoins de refinancement des obligations arrivant à échéance", expliquent les stratégistes taux de Société Générale (EPA:SOGN).
Les banques ont emprunté au total quelque 2.100 milliards d'euros à la BCE ces dernières années dans le cadre des TLTRO en profitant de conditions très avantageuses, destinées notamment à encourager les prêts et stimuler l'activité économique lorsque la zone euro faisait alors face à un risque de déflation.
Ces prêts arrivent désormais à maturité, le durcissement de la politique monétaire de la banque centrale passant par une restriction des liquidités accordées aux banques, qui doivent diversifier leurs sources de financement.
Or, les obligations sécurisées offrent une alternative moins onéreuse à des titres senior: le rendement sur l'indice iBoxx EUR Covered atteint 3,52%, contre 4,37% pour l'indice iBoxx EUR Bank Senior, alors que le taux de dépôt de la BCE atteint 3,50%.
"La demande des investisseurs s'est reconstituée au-delà des fonds spécialisés qui représentaient l'essentiel des acheteurs hors BCE de ces dernières années, le spread étant redevenu positif et l'actif offrant des opportunités de portage", de l'ordre de 3,6% à 3,8% sur un titre à trois ans, remarque Olivier Peythieu, gérant obligataire chez Amundi.
"La fin des achats de la BCE oblige les émetteurs à mieux répondre à l'appétit des investisseurs pour les titres à court terme, afin de profiter de l'inversion de la courbe".
Les émissions se sont donc concentrées sur les maturités courtes pour attirer les investisseurs, les titres de maturité inférieure à 5 ans représentant environ 60% des volumes émis en 2023, et le phénomène pourrait se renforcer alors que la BCE arrêtera son dernier programme d'achat d'obligations sécurisées (CBPP3) en juillet.
Dans le cadre de ses programmes d'achat d'actif, la BCE captait une part importante des émissions primaires, avec des achats représentant en moyenne 30% à 40% des volumes émis.
NIVEAUX RECORDS
La dynamique d'émission est vouée à ralentir en deuxième partie d'année, mais les émissions devraient néanmoins atteindre des niveaux records en 2023.
Le marché est historiquement saisonnier, les émissions au premier semestre représentant entre deux tiers et trois quarts des volumes de l'année, mais les acteurs du marché tablent sur des volumes allant de 50 à 80 milliards d'euros d'émissions supplémentaires.
Il reste de fait encore 590 milliards d'euros de TLTRO à rembourser, dont au moins 108 milliards en 2023, tandis que les banques italiennes n'ont commencé à émettre que depuis juin, la directive européenne leur permettant d'émettre sous ce standard n'ayant pas été transposée avant.
Par ailleurs, une partie importante des covered bonds émis depuis 2020 avaient été déposées à la banque centrale contre des liquidités, et non placés sur les marchés: le refinancement de ces 275 milliards d'euros de titres, selon la BCE, aura lieu au moins en partie via des émissions de covered bonds classiques.
Enfin, les portefeuilles de crédit demeurent suffisamment fournis pour ne pas encore limiter les émissions.
"En 2024, nous nous attendons à moins d'émissions, car les volumes de produits hypothécaires seront certainement en baisse, tandis que les remboursements de TLTRO toucheront à leur fin", conclut Isabelle Vic-Philippe, responsable de l'Euro-Aggregate chez Amundi.
(Reportage Corentin Chappron, édité par Kate Entringer)