par Francesco Canepa
WASHINGTON (Reuters) - Les gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) redoutent que la publication d'une prévision de taux d'intérêt, sur le modèle du "dot plot" de la Réserve Fédérale (Fed), mène à des pressions politiques qui pourraient mettre en cause l'indépendance de l'institution, ont déclaré des sources à Reuters.
La semaine dernière, Isabel Schnabel, l'une des membres du Conseil des gouverneurs, a proposé de publier les anticipations de taux anonymisées des responsables de l'institution, afin de mieux informer les marchés. La Réserve fédérale publie quatre fois par an ses "dot plots".
Pour autant, 13 de ses collègues au sein du Conseil ont presque unanimement déclaré auprès de Reuters qu'une telle décision remettrait en cause l'indépendance de la BCE vis-à-vis des pays membres de la zone euro. La BCE doit en effet composer avec 20 gouvernements différents, là où la Fed ne dépend que d'un seul.
Les membres du Conseil des gouverneurs de la BCE estiment que les responsables politiques européens chercheraient à savoir quelle projection est celle du gouverneur de la banque centrale locale, afin de lui faire exprimer une vue plus conforme aux intérêts domestiques.
Quelques-unes des sources interrogées par Reuters estiment toutefois que l'idée n'est pas sans mérite, d'autres se disant ouverts à discuter de la proposition à l'occasion de la prochaine revue de la BCE, prévue l'année prochaine.
Un porte-parole de la BCE n'a pas souhaité faire de commentaires.
La BCE cherche à limiter l'interférence politique en ne publiant pas le résultat des votes après ses décisions de politique monétaire, tandis que ses comptes-rendus sont anonymisés.
Isabel Schnabel a par ailleurs proposé de publier des scénarios alternatifs en plus du scénario principal de la BCE, sans soulever l'enthousiasme de ses collègues.
Trop de scénarios différents sont possibles, soulignent certaines sources.
REVUE
Les 20 banques centrales nationales de l'Eurosystème sont indépendantes de l'exécutif domestique, mais la plupart des gouverneurs ont besoin d'un soutien politique afin d'être réélus.
Un document de recherche publié en 2021 par les économistes Friedrich Heinemann et Jan Kemper montre que les responsables politiques de la BCE qui favorisent des taux faibles sont en général issus de pays fortement endettés, tandis que les responsables restrictifs viennent en général de pays dont les niveaux de dette sont faibles.
Ces conclusions se vérifient surtout pour les 20 membres du Conseil des gouverneurs eux même gouverneurs de banques centrales nationales. Les six membres du comité exécutif, élus au cours d'un processus pan-européen, sont plus indépendants.
La Banque d'Angleterre et la Banque de Corée réfléchissent également à faire évoluer la manière dont leurs prévisions économiques sont conduites et annoncées.
(Reportage Francesco Canepa à Washington, version française Corentin Chappron, édité par Blandine Hénault)