Le procès pour délits d'initiés des sociétés Lagardère SCA (PARIS:LAGA) et Daimler AG (XETRA:DAIGn) et de sept cadres d'Airbus (PARIS:AIR) et d'EADS s'ouvre vendredi à Paris, avec une bataille de procédure portant sur la validité même des débats.
La justice reproche aux prévenus de s'être enrichis indûment en vendant leurs stock-options, principalement en novembre 2005 et mars 2006, alors qu'ils avaient connaissance d'informations privilégiées, précises et confidentielles de nature à influer sur le cours de l'action EADS.
Problèmes pour leurs avocats, la question de leur culpabilité a déjà été jugée par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) qui les a mis hors de cause fin 2009.
"Il est inconcevable que l'on puisse demain se trouver dans une situation où deux décisions contradictoires seraient rendues pour les mêmes personnes et les mêmes faits", s'insurge Frédéric Peltier, avocat de l'un des prévenus, qui souligne l'aspect inédit de ce cas de figure en France.
Jusqu'alors les tribunaux correctionnels ont en effet eu à statuer sur le sort de prévenus déjà condamnés par l'AMF, jamais pour des personnes innocentées.
Avec ses confrères, l'avocat entend défendre devant le tribunal le principe européen du "Non bis in idem" en vertu duquel nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement deux fois pour les mêmes faits.
Cette question a été tranchée en mars dans un dossier comparable par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), qui a condamné l’État italien pour avoir poursuivi deux fois une personne pour les mêmes faits de communication frauduleuse relative au capital du constructeur automobile italien Fiat.
Mais en France, le Conseil d’État et la Cour de cassation ont pour l'instant toujours validé la légalité du système qui autorise une double condamnation administrative et pénale.
Et le tribunal correctionnel a condamné le 26 septembre trois personnes à de lourdes amendes pour un délit d'initiés sur des titres du groupe industriel Pechiney en 2003. Il a écarté l'argument de la double condamnation, tout en reconnaissant qu'il ne "saurait méconnaître le risque de condamnation de la France".
"Il est dans ce contexte vraisemblable que le système français de répression des abus de marché devrait être amené à évoluer en vue de coordonner la répression pénale et administrative des infractions boursières", a-t-il souligné.
- "On va gagner, la question c'est quand?" -
Questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), demande de question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, nullités de procédures... les avocats entendent faire feu de tout bois vendredi pour poser la question de la validité des débats et réclamer un report du procès, même si les professionnels émettent des doutes sur cette éventualité.
"Les QPC sont une occasion pour le tribunal de permettre au système pénal français de se mettre en conformité avec la jurisprudence européenne", plaide Me Aurélien Hamelle, avocat de Daimler AG pour qui le procès peut difficilement se dérouler en l'état "compte-tenu de l'enjeu".
"On va obligatoirement gagner, la question c'est quand? On peut attendre d'aller devant la cour européenne après avoir épuisé tous les recours ou régler l'affaire maintenant", estime Me Jean-Yves Le Borgne, avocat d'un prévenu, également favorable au report du procès.
Parmi les sept prévenus figurent l'ancien coprésident du groupe, Noël Forgeard, ainsi que l'actuel directeur commercial d'Airbus, John Leahy.
Les autres personnes poursuivies sont l'ancien numéro deux d'EADS, Jean-Paul Gut, et le directeur financier de l'époque Andreas Sperl, ainsi que trois cadres dirigeants de sa filiale Airbus, Alain Flourens, Erik Pillet et Olivier Andriès.
Les délits d'initiés qui leur sont reprochés portent sur leur connaissance, avant la vente de leurs actions, d'importants retards de livraison du très gros porteur d'Airbus, l'A380, la révision complète du projet de long-courrier A350 et des perspectives financières plus mauvaises qu'annoncées.
Une fois rendues publiques, ces informations ont provoqué une chute du cours de l'action qui, le 14 juin 2006, a perdu plus de 26%, soit 5,5 milliards d'euros