par William James et Michael Holden
LONDRES (Reuters) - Jeremy Corbyn, représentant de l'aile gauche du Labour, a été confortablement élu samedi à la tête du Parti travailliste britannique, ce qui pourrait laisser augurer d'une fracture au sein de la formation d'opposition laminée lors des élections législatives de mai dernier.
Ce parlementaire de 66 ans encore relativement inconnu il y a quelques mois s'est imposé avec un programme anti-austérité tranchant fortement avec les principes centristes du "New Labour" de l'ancien Premier ministre Tony Blair.
Son élection a été saluée par ses partisans qui l'ont acclamé et par les représentants de la gauche radicale à travers l'Europe. Certains travaillistes craignent que Jeremy Corbyn ne détourne du Labour une partie de son électorat. Ce grand admirateur de Karl Marx est favorable au désarmement nucléaire unilatéral, aux nationalisations et à la taxation des richesses.
"Les choses peuvent changer et elles vont changer", a déclaré le nouvel élu qui porte les cheveux gris et la barbe.
"Je dis merci à l'avance à nous tous travaillant ensemble pour réaliser de grandes victoires, pas seulement d'un point de vue électoral pour le Labour, mais avec émotion pour l'ensemble de notre société, pour montrer que nous n'avons pas à être inégaux, qu'elle n'a pas à être injuste, que la pauvreté n'est pas inévitable", a-t-il ajouté.
Le scrutin était ouvert à quelque 600.000 adhérents, partisans et membres de syndicats affiliés au Labour. Jeremy Corbyn l'a emporté avec 59,5% des suffrages exprimés, soit 251.417 voix. Il a ainsi engrangé plus de suffrages que tout ce qui avait été prévu. Il a été chaleureusement félicité à l'annonce des résultats, même par certains de ses adversaires.
Jeremy Corbyn, qui succède à Ed Miliband qui a démissionné après la débâcle travailliste de mai dernier était opposé à trois candidats, Yvette Cooper et Andy Burnham, considérés comme des héritiers de Miliband, et la "blairiste" Liz Kendall.
Sa victoire reflète un soutien populaire croissant pour les mouvements de la gauche radicale anti-austérité un peu partout en l'Europe avec Syriza en Grèce et Podemos en Espagne.
TAXATION DES FORTUNES
"La victoire de Corbyn à la tête du Parti travailliste est une grande nouvelle; c'est un pas vers le changement en Europe pour le bénéfice du peuple", a déclaré via Twitter le chef de Podemos, Pablo Iglesias.
Toutefois, la fracture créée par la victoire de Jeremy Corbyn est apparue au grand jour. Un élu du Labour a renoncé à ses fonctions de porte-parole pour les questions de santé alors que le chef du Labour était en train de prononcer son discours de remerciement. D'autres démissions ont suivi dans la foulée.
La montée en puissance de Jeremy Corbyn pendant la campagne pour le choix du nouveau chef du Labour a créé la surprise. Au départ, ceux qui l'ont soutenu ne l'ont fait que pour permettre un débat le plus large possible.
Mais ce végétarien, réélu député sans discontinuer depuis 1983 dans la même circonscription (Islington North), a su toucher une corde sensible chez de nombreux travaillistes en refusant le consensus favorable aux milieux d'affaires mis en place par Tony Blair qui, après avoir remporté trois élections pour le Labour et être resté au pouvoir dix ans (1997-2007) est désormais très impopulaire.
A la place, le nouveau patron du Labour propose la taxation des fortunes, l'augmentation des investissements en utilisant la planche en billets et laisse flotter une certaine ambiguïté vis-à-vis du maintien du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne.
La perspective d'un retour aux origines socialistes du Labour font dire à certains que Jeremy Corbyn ne pourra pas être élu lors des prochaines élections législatives en 2020 par des électeurs qui ont réélu le conservateur David Cameron pour un second mandat en mai dernier sur la promesse d'une baisse des dépenses sociales.
C'est ce qu'a laissé entendre Tony Blair avant le scrutin pour dissuader les travaillistes de porter Corbyn à leur tête. Certains ont même évoqué une scission du parti.
Ed Miliband a pour sa part dit ne pas être d'accord avec la prédiction de Tony Blair.
"Il a un gros travail à faire pour unifier le parti et j'ai le sentiment qu'il a bien l'intention de le faire", a déclaré Ed Miliband la presse.
(Jean-Stéphane Brosse et Danielle Rouquié pour le service français)