par Pierre-Henri Allain
RENNES (Reuters) - Les deux policiers jugés pour non-assistance à personne en danger après la mort de deux adolescents à Clichy-sous-bois en 2005, drame qui avait embrasé les banlieues françaises, ont été relaxés lundi par le tribunal correctionnel de Rennes.
Il leur était reproché de n'avoir pas tenté de porter secours ou de n'avoir pas prévenu les services d'assistance alors que les deux adolescents s'étaient réfugiés dans un site EDF (PARIS:EDF) après une course-poursuite avec les forces de l'ordre.
Le 27 octobre 2005, Bouna Traoré, 15 ans, et Zyed Benna, 17 ans, avaient trouvé la mort après s'être réfugiés dans un transformateur électrique. Un troisième jeune, Muhittin Altun, 17 ans, qui les accompagnait, avait été grièvement blessé.
Trois semaines de violences avaient suivi dans les banlieues, avec un bilan de 300 bâtiments et 10.000 véhicules incendiés, 130 policiers et émeutiers blessés, ce qui avait mené à l'instauration de l'état d'urgence pour la première fois depuis la guerre d'Algérie.
Dans ses conclusions, le tribunal correctionnel a jugé qu'aucun des deux policiers mis en cause, Stéphanie Klein, alors standardiste stagiaire au commissariat, et Sébastien Gaillemin, jeune gardien de la paix, n'avaient eu "conscience d'un péril grave et imminent" encouru par les adolescents.
Le second policier n'aurait fait qu'apercevoir "deux silhouettes" entrant dans un cimetière proche du site EDF lorsqu'il a dit sur la radio de la police : "En même temps, s'ils rentrent sur le site EDF, je ne donne pas cher de leur peau."
Cette phrase a été au centre des débats lors de l'audience en mars dernier mais, selon le tribunal, cet élément ne signifie pas que le policier savait avec certitude que les adolescents allaient pénétrer dans le site EDF.
"SENTIMENT DE GCHIS"
La décision du tribunal est conforme aux réquisitions du parquet mais la défense des familles des jeunes a annoncé qu'elle allait faire appel à l'encontre de l'Etat français devant un tribunal civil pour obtenir des indemnités, seule possibilité de recours dans cette procédure.
Dans la salle d'audience, des voix ont crié à "l'impunité policière" après l'énoncé du jugement.
"Pas une seule ligne ne reprend les argumentations des parties civiles", a déploré Me Jean-Pierre Mignard, un des deux avocats des familles des victimes, après la lecture du jugement qu'il a qualifié de "désinvolte".
"C'est comme si rien ne s'était dit, rien ne s'était fait, c'est : circulez, il n'y a rien à voir", a t-il ajouté.
Pour Emmanuel Tordjman, également avocat des parties civiles, "démonstration a été faite qu'une faute avait été commise, le tribunal en a décidé autrement".
SOS-Racisme a estimé que cette relaxe laissait "un immense sentiment de gâchis" et n'exonérait pas les autorités d'une réflexion sur l'action des forces de l'ordre dans les quartiers populaires.
"Manifestement, notre pays a une grande capacité à s'émouvoir pour ce qui se passe à Ferguson aux Etats-Unis et identifie avec une déconcertante facilité les mécanismes du racisme et du contrôle sécuritaire des territoires où vivent des Afro-américains", ajoute l'organisation dans un communiqué.
"Par contre, cette lucidité s'envole comme par magie lorsqu'il s'agit de regarder notre société en face et d'en analyser les dysfonctionnements."
Daniel Merchat, avocat des deux policiers, a évoqué le soulagement de ses clients.
"Ce jugement est celui que j'attendais depuis 9 ans. Depuis 9 ans, mes clients ont l'intime conviction de n'avoir commis ni faute, ni erreur, ni délit. Ce long chemin de souffrance est fini et ils sont soulagés", a-t-il déclaré après le délibéré.
Ce jugement intervient après un long marathon judiciaire et le renvoi de l'affaire devant un tribunal décidé en 2013 par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, après que la Cour de cassation eut annulé en 2012 le non-lieu rendu en 2011 au profit des deux policiers.
(Pierre-Henri Allain, édité par Yves Clarisse)