par Emmanuel Jarry
LE BOURGET, Seine-Saint-Denis (Reuters) - A moins de trois jours de l'échéance, les termes d'un accord universel sur le réchauffement climatique restent flous malgré les déclarations de bonne volonté des principaux groupes de pays participant à la conférence sur le climat de Paris.
Les organisations non gouvernementales s'inquiètent de la portée de l'accord qui sortira de ce processus, alors que les consultations se sont poursuivies mardi à un rythme soutenu pour tenter de dégager des compromis sur les points de divergence.
Le démarrage du processus de révision des engagements nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) est un des sujets les plus délicats.
La plupart des 195 pays qui participent à la COP21 au Bourget sont d'accord sur le principe d'une révision à la hausse de ces engagements tous les cinq ans. Mais la question du moment du début du processus reste toujours ouverte.
Le brouillon d'accord remis samedi par les négociateurs avant l'entrée en scène des ministres pour les arbitrages politiques, parle d'un premier bilan en 2024.
Mais de nombreux pays, en particulier en développement, veulent avancer ce processus, notamment pour combler les insuffisances des engagements déposés auprès de l'ONU par 185 Etats totalisant plus de 95% des émissions mondiales de GES.
D'autres au contraire souhaitent retarder le plus possible un mécanisme qui les conduirait à rehausser leurs efforts.
Alors qu'un enjeu du futur accord est de contenir le réchauffement moyen à moins de 2°C, voire 1,5°C, en 2100, la somme de ces programmes placerait au mieux la planète sur une trajectoire à 2,7°C si tous les pays tiennent leurs engagements.
LE CHEMIN DU CONSENSUS
Or, plus d'une quarantaine de pays ont subordonné les leurs à l'aide financière et aux transferts de technologie des pays développés, autre point clef pour la conclusion d'un accord.
"On ne peut pas demander aux pays africains de mettre en oeuvre leurs contributions nationales s'ils n'ont pas les moyens techniques ou financiers", a dit ainsi à Reuters la ministre marocaine délégué à l'Environnement, Hakima El Haite.
Tout cela rend plus nécessaire l'accélération des politiques de réduction des GES avant l'entrée en vigueur du futur accord, en 2020, ce qui est l'objet d'une des instances de consultation créées par le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius.
Or le chemin du consensus paraît encore long, y compris au sein de groupes de pays ayant décidé de faire alliance, comme l'Union européenne et 79 pays africains, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), qui ont publié mardi une déclaration commune en faveur d'un accord "ambitieux et contraignant".
Lors de la présentation de cette déclaration, le ministre gabonais du développement durable, Régis Immongault, a estimé que le "compteur" devrait tourner à partir de 2016.
"Je ne crois pas que ce soit possible", a confié quelques instants plus tard à Reuters le commissaire européen au climat et à l'énergie, Miguel Arias Canete.
"La position de l'Union européenne est très claire", a-t-il ajouté. "On doit lancer le processus de mesure, information et vérification en 2018-2019, pour qu'en 2021 nous soyons capables, le cas échéant, de réviser nos engagements."
Du côté américain, un haut responsable du département d'Etat a estimé que les parties à la convention des Nations unies pour le climat (CCNUCC) devraient commencer à envisager de nouveaux plans de réduction de leurs émission en 2020-2021.
"PEANUTS"
Mais "pour les Etats-Unis, ça sera en 2030 parce que nos engagements actuels sont pour 2025", a-t-il dit à Reuters.
Le ministre indien de l'Environnement, Prakash Javadekar, a rappelé, lors d'une conférence de presse commune avec ses homologues chinois, brésilien et sud-africain, que son pays avait pris des engagements à 10 ans.
"Dans dix ans nous soumettrons un autre plan. Si quelqu'un veut revoir ses engagements à la hausse en raison des progrès techniques ou d'autres choses, il peut le faire à tout moment."
Selon la Fondation de Nicolas Hulot, envoyé spécial du président français, François Hollande, pour les questions climatiques, il conviendrait de moduler ce processus.
"Une trentaine de pays, dont une vingtaine africains, se sont engagés à réduire leurs émissions de GES à deux tonnes par habitant et par an en 2030", explique son porte-parole.
"Il n'est pas sûr qu'on puisse leur demander de réviser (par anticipation) leurs engagements", ajoute Matthieu Orphelin.
La Fondation Hulot et d'autres organisations de défense de la nature s'inquiètent par ailleurs de la réalisation par les pays développés de leur engagement de consacrer 100 milliards de dollars par an à l'aide aux pays vulnérables à partir de 2020.
"Au mieux, d'après nos estimations, les nouvelles promesses (faites à l'occasion de la COP21) amèneraient à 85 milliards de dollars par an", précise Matthieu Orphelin.
Le WWF ou Oxfam contestent, comme les représentants chinois, indiens et sud-africains, la méthode utilisée pour comptabiliser ses promesses de fonds publics et privés. Pour ces organisations le total est à ce jour inférieur à 60 milliards de dollars.
Si les pays développés n'arrivent pas aux 100 milliards, cela montrera qu'ils "ne sont pas sérieux", a dit la secrétaire générale de la Confédération internationale des syndicats (ITUC), Sharon Burrows, pour qui ce montant est de toute façon "peanuts" ("des cacahuètes") comparé aux besoins.
(Avec Lesley Wroughton and David Stanway, édité par Yves Clarisse)