PARIS/LUXEMBOURG (Reuters) - Le ministre français des Finances, Michel Sapin, a exprimé mardi sa "solidarité" avec le lanceur d'alerte Antoine Deltour, à l'origine de l'affaire dite des LuxLeaks, et indiqué que la France était prête à lui venir en aide pour son procès, qui s'est ouvert mardi au Luxembourg.
Ce Français âgé de 30 ans, ancien collaborateur du cabinet d'audit PricewaterhouseCoopers (PwC), est accusé d'avoir transmis des données de clients de PwC au journaliste du magazine "Cash Investigation" sur France 2, Edouard Perrin, pour une émission en 2012.
Le parquet estime que ces données, ainsi que d'autres fournies par un autre Français, Raphaël Halet, lui aussi ancien employé de PwC, ont par la suite été utilisées dans les révélations "LuxLeaks" de novembre 2014 par le Consortium international des journalistes d'investigation.
Les trois Français sont accusés de "vol domestique, accès ou maintien frauduleux dans un système informatique, divulgation de secrets d’affaires, violation de secret professionnel et blanchiment-détention des documents soustraits."
Avec l'affaire LuxLeaks, le Luxembourg s'est retrouvé accusé d'avoir conclu avec des multinationales des accords fiscaux confidentiels qui auraient minimisé les rentrées fiscales d'un certain nombre d'Etats européens.
Ces accords auraient permis à des entreprises telles qu'Apple (NASDAQ:AAPL), Amazon (NASDAQ:AMZN), Pepsi ou Disney de minimiser leurs impôts.
Le Grand-Duché fait valoir que d'autres pays ont des accords similaires et a proposé de partager les informations sur ces accords fiscaux avec d'autres Etats.
Lors de l'audience de mardi, un expert de PwC a accusé Antoine Deltour d'avoir copié 45.000 pages de documents auxquels il avait accès en profitant d'une faille de sécurité dans les serveurs du cabinet d'audit. Cette faille a depuis été comblée.
PAR HASARD
L'avocat luxembourgeois d'Antoine Deltour, Philippe Penning, a fait valoir que son client n'avait pas cherché ces documents mais qu'il était tombé dessus par hasard.
L'accusé a reçu les encouragements du ministre français des Finances, qui souhaite faire voter une loi pour renforcer la protection des lanceurs d'alerte.
"Je voudrais lui dire toute notre solidarité", a déclaré Michel Sapin lors de la séance des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale.
"J'ai demandé ce matin à l'ambassadeur de France au Luxembourg et au consulat général de bien vouloir suivre, l'aider si c'est nécessaire, dans cette période difficile où il défend l'intérêt général et où pourtant il doit répondre devant une juridiction pénale au Luxembourg", a-t-il ajouté.
"C'est grâce à lui que nous avons pu mettre fin à cette opacité qui empêchait les pays européens de connaître la situation fiscale exacte d'un certain nombre de grandes entreprises au Luxembourg", a-t-il indiqué à propos d'Antoine Deltour.
L'organisation non-gouvernementale Transparency International a réclamé mardi l'abandon des poursuites contre les trois prévenus.
"Antoine Deltour doit être protégé, salué et non poursuivi. Les informations ont été révélées dans l'intérêt général. C'est pourquoi nous avons demandé à PwC Luxembourg de retirer ses plaintes", a déclaré Cobus de Swardt, directeur général de l'organisation, dans un communiqué.
Le Consortium international des journalistes d'investigation a dénoncé pour sa part l'inculpation du journaliste Edouard Perrin comme une atteinte à la liberté de la presse.
Antoine Deltour encourt de cinq à dix ans de prison et une amende de 1,25 million d'euros.
Devant le tribunal, plusieurs dizaines de manifestants ont chanté et crié des slogans en soutien au Français.
"Ce message, c'est pour dire qu'aujourd'hui, les citoyens veulent plus de justice en matière fiscale", a déclaré un manifestant français, François Thierry, devant le tribunal. Il portait un T-shirt portant l'inscription : "Je te soutiens, Antoine".
(Michele Sinner, Miranda Alexander-Webber avec Myriam Rivet à Paris; Jean-Philippe Lefief et Danielle Rouquié pour le service français, édité par Marc Angrand)