par Emmanuel Jarry
PARIS (Reuters) - Le tribunal correctionnel de Paris a condamné vendredi le fils aîné du président de Guinée équatoriale à des peines de prison et d'amende avec sursis mais mis en cause la Banque de France et la Société générale (PA:SOGN), au terme du premier procès des "biens mal acquis" par des dirigeants africains.
Teodorin Obiang, 48 ans, vice-président de Guinée équatoriale jugé en son absence pour blanchiment d'abus de biens sociaux, abus de confiance, corruption et détournement de fonds publics, a été condamné à trois ans de prison avec sursis.
Le tribunal lui a aussi infligé une amende de 30 millions d'euros avec sursis et a ordonné la confiscation de ses biens saisis en France, soit plus de 100 millions d'euros, dont un vaste ensemble immobilier luxueux avenue Foch, à Paris.
Ce verdict pourrait faire jurisprudence pour les autres procès qui s'annoncent dans le cadre des dossiers des "biens mal acquis", notamment pour les familles d'Ali Bongo (Gabon) et de Denis Sassou Nguesso (Congo-Brazzaville).
La justice française évalue les sommes "blanchies" en France entre 1997 et 2011 par Teodorin Obiang, à plus de 150 millions d'euros, produit présumé de la corruption, de détournements de fonds publics et d'autres délits commis en Guinée équatoriale.
Le ministère public avait requis le 7 juillet des peines de prison et d'amende fermes. La présidente du tribunal a justifié le sursis par le fait que Teodorin Obiang a pu longtemps penser bénéficier d'une forme d'impunité en France.
Bénédicte de Perthuis a notamment dit tenir compte de la "complaisance" de la Société générale, "qui a permis à tout le moins par son absence de réaction la poursuite de l'infraction".
"L'attitude de la Société générale, comme celle de la Banque de France, pendant de nombreuses années, a pu laisser penser (à Teodorin Obiang) qu'il existait en France une forme de tolérance à l'égard de ces pratiques", a-t-elle expliqué.
"RÔLE DÉTERMINANT" DE LA BANQUE DE FRANCE
Elle a rappelé que la Société générale de banque de Guinée équatoriale (SGBGE), filiale à 42% de la Société générale, avait joué un "rôle essentiel" dans le transfert de fonds à l'étranger au profit de Teodorin Obiang.
Bénédicte de Perthuis a cité une note interne de 2005 du responsable de la lutte anti-blanchiment de la Société générale, selon qui la SGBGE était en fait une "banque de l'Etat Obiang", et qui se plaint de l'absence de contrôle ou d'audit.
Elle a cité d'autres notes internes démontrant que la direction de la Société générale était parfaitement au courant du rôle de sa filiale dans le détournement de fonds publics par Teodorin Obiang, sans que les conséquences en aient été tirées.
Selon Bénédicte de Perthuis, la Banque de France a aussi vu transiter de tels fonds "sans qu'aucune alerte ne soit déclenchée" et a ainsi joué entre 2005 et 2011 un "rôle déterminant" dans les acquisitions de Teodorin Obiang.
Le tribunal a estimé pour toutes ces raisons que la peine principale devait être "essentiellement un avertissement destiné tant à la personne condamnée" qu'aux autres protagonistes susceptibles d'être impliqués dans le blanchiment.
"Malgré la gravité des faits, une peine d'emprisonnement ferme n'apparaît dans ce contexte ni nécessaire ni adaptée", a dit la présidente. "Il ne paraît pas non plus justifié (...) qu'une amende ferme destinée à être recouvrée par le Trésor public français soit prononcée."
Les parties civiles ont salué un verdict "historique".
"Maintenant on sait qu'un chef d'Etat ou un fils de chef d'Etat peut être condamné", a déclaré à Reuters Jean-Pierre Spitzer, avocat d'un collectif d'opposants équato-guinéens.
"En plus il y a deux grands signaux : l'Etat français ne peut plus être un sanctuaire et le système bancaire est appelé à faire très très attention dans le futur", a-t-il ajouté.
William Bourdon, avocat de l'ONG Transparency international France (TIF), a fait valoir que les sursis ne devaient pas être compris comme une "faiblesse" ou une marque de "générosité" de la part du tribunal, dont il a au contraire salué le "courage".
"Il a dit que ces infractions de blanchiment n'ont pu prospérer qu'en raison d'une triple tolérance de la Société générale, de la Banque de France, des autorités françaises."
D'AUTRES PROCÈS À VENIR
Les avocats de Teodorin Obiang ont en revanche dénoncé un jugement "militant" et annoncé qu'ils allaient examiner toutes les voies de recours possible.
"La décision rendue va à l'encontre des engagements internationaux de la France", a ainsi déclaré Emmanuel Marsigny, pour qui le tribunal "est allé au-delà de son rôle" en reprenant "sans aucun discernement" l'argumentation des parties civiles.
Son collègue équato-guinéen Sergio Abeso Tomo a pour sa part dénoncé un "non-sens extraordinaire" : "On n'a pas de peine de prison, pas d'amende pour notre client mais on confisque un immeuble qui appartient à l'Etat et qui abrite une ambassade."
Si la condamnation est confirmée, il restera à mener la bataille de la restitution des sommes détournées à la population équato-guinéenne, ce qui suppose notamment une évolution de la législation française, a estimé le tribunal.
"Il apparaît désormais moralement injustifié pour l'Etat prononçant la confiscation de bénéficier de celle-ci sans égard aux conséquences de l'infraction", a dit Bénédicte de Perthuis.
Au-delà du cas équato-guinéen, l'enquête sur les "biens mal acquis" vise notamment les dirigeants gabonais et congolais.
La fille, le gendre et un neveu du président congolais, Julienne Sassou-Nguesso, Guy Johnson et Wilfrid Nguesso, ont été mis en examen pour blanchiment de fonds publics.
Les juges chargés du volet gabonais ont pour leur part achevé son instruction et le parquet national financier devrait rendre prochainement son réquisitoire définitif.
(Edité par Yves Clarisse)