par Andrew Osborn
LONDRES (Reuters) - Qu'il perde ou gagne les élections législatives de jeudi en Grande-Bretagne, David Cameron sait que sa carrière ne tient qu'à un fil.
S'il est battu, tout sera instantanément terminé pour le Premier ministre. Mais même s'il l'emporte sans obtenir de majorité à la Chambre des Communes, une hypothèse confortée par les sondages qui ne voient aucun parti majoritaire à l'issue du scrutin, il pourrait rapidement devoir affronter une rébellion en interne.
Descendant du roi Guillaume IV, David Cameron dirige depuis 2010 un gouvernement de coalition avec les libéraux démocrates (centre) et dit vouloir, à 48 ans, effectuer un deuxième mandat de cinq ans pour "finir (son) travail" de redressement de l'économie.
Il promet aussi d'organiser un référendum sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union européenne, dans l'espoir d'en finir, dans le pays comme au sein de son parti, avec les peurs liées à l'Europe.
Mais s'il ne parvient pas à donner aux conservateurs leur première majorité absolue à la Chambre des Communes depuis 23 ans, il devra vraisemblablement batailler dur pour achever son mandat.
"Les conservateurs sont intraitables", explique Greig Baker, un ancien membre du parti qui dirige aujourd'hui Guide, un cabinet d'études sur la vie politique nationale. "Si Cameron peut leur offrir des portefeuilles ministériels, il survivra aux élections. Mais son horizon à plus long terme est peu réjouissant. Le parti ne l'a jamais aimé."
David Cameron, que les Britanniques apprécient plutôt à titre personnel à en croire les enquêtes d'opinion, est issu d'un milieu particulièrement favorisé. Fils d'un riche agent de change, il a fréquenté les bancs huppés de l'Eton College et de l'université d'Oxford et épousé une femme qui compte un autre roi, Charles II, dans son arbre généalogique.
Dans un pays très sensible aux rapports de classe, cette ascendance a pris certains Britanniques à rebrousse-poil. L'un des députés les plus véhéments de son parti a un jour traité Cameron et son fidèle ministre des Finances, George Osborne, de "fils à papa qui ne connaissent pas le prix du lait".
CHANGER L'IMAGE DU "MÉCHANT PARTI"
L'un des principaux atouts du Premier ministre sortant dans la campagne 2015 a été son bilan économique. Il peut se targuer d'avoir sorti le pays d'une grave récession, la Grande-Bretagne affichant aujourd'hui l'un des taux de croissance les plus vigoureux des pays industrialisés. Mais le salaire réel vient tout juste de repartir à la hausse et de nombreux électeurs ne voient pas en quoi cette reprise leur est bénéfique.
L'un des principaux échecs de David Cameron est sans doute de n'avoir pas réussi à débarrasser sa formation de son image de "méchant parti" (nasty party), un terme inventé par sa ministre de l'Intérieur, Theresa May, il y a une dizaine d'années.
Pour les bons connaisseurs des Tories, les conservateurs ont pâti, après trois défaites consécutives face au Labour de Tony Blair aux législatives de 1997, 2001 et 2005, de leur réputation de parti insensible au sort des pauvres, proche des grandes entreprises et intolérant sur les questions de société.
David Cameron, devenu leader du parti en 2005, s'est efforcé de corriger cette image. Il a abordé les questions d'environnement et inventé le concept de "grande société" où les communautés auraient davantage leur mot à dire. Depuis qu'il occupe le 10, Downing Street, il a légalisé le mariage homosexuel, augmenté l'aide au développement et nommé pour la première fois une femme musulmane à un poste gouvernemental.
Mais ces efforts ont été occultés par ses mesures de lutte contre le déficit budgétaire hérité des travaillistes en 2010, deux ans après la crise financière, alors le plus lourd depuis la Seconde Guerre mondiale.
DES PRÉTENDANTS À L'AFFÛT
Pour assainir les finances publiques, David Cameron a sabré dans les dépenses sociales, prêtant le flanc aux accusations de l'opposition travailliste qui lui reproche de faire payer aux plus vulnérables les dégâts causés par de riches banquiers.
Le Premier ministre se défend en vantant d'autres mesures comme la hausse du salaire minimum, la création de deux millions de nouveaux emplois ou l'aide financière de l'Etat pour l'accession à la propriété.
Mais le Labour préfère retenir de son bilan la "bedroom tax", qui impose depuis 2013 une taxe aux locataires de logements sociaux possédant une ou plusieurs chambres vacantes, même si la baisse des dépenses sociales recueille aussi l'assentiment d'une partie des électeurs qui pestent contre "l'assistanat".
Sous la pression de l'aile droite de son parti et de l'émergence du Parti de l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP), anti-européen, David Cameron a changé son fusil d'épaule, revenant à des propositions plus conservatrices au risque de s'exposer par là-même aux critiques qui dénoncent son opportunisme.
Le Premier ministre a durci son discours sur l'immigration, oublié son concept de "Big Society" ou son intérêt pour l'écologie; il est aussi devenu plus isolationniste sur la scène internationale, échaudé par le vote négatif du Parlement en 2013 sur des frappes aériennes en Syrie.
Les prétendants à sa succession sont déjà à l'affût. Parmi eux figurent Theresa May, le maire haut en couleurs de Londres Boris Johnson, son lieutenant George Osborne ou Sajid Javid, secrétaire d'Etat à la Culture.
Vendredi dernier, David Cameron a qualifié le scrutin du 7 mai de "déterminant pour une carrière". Ses adversaires n'ont pas manqué de lui reprocher de placer son destin avant celui du pays.
(Jean-Stéphane Brosse pour le service français, édité par Marc Angrand)