En écartant toute hausse d'impôt pour compenser la suppression de la taxe d'habitation et la reprise d'une partie de la dette de la SNCF, le gouvernement a mis sous cloche le danger de grogne fiscale... au risque de compromettre ses objectifs budgétaires.
Réduire le déficit public à 0,9% du Produit intérieur brut (PIB) en 2020 puis 0,3% en 2021, avant de ramener les comptes publics à l'équilibre en fin de quinquennat: voilà ce à quoi s'est engagé le gouvernement en présentant mi-avril sa trajectoire budgétaire sur cinq ans.
Des objectifs ambitieux, mais annoncés avant deux décisions lourdes de conséquences: la reprise partielle en 2020 de la dette de SNCF Réseaux, évaluée actuellement à 47 milliards d'euros, et la suppression sans contrepartie, en 2020 là encore, de la taxe d'habitation pour les 20% de Français les plus aisés encore assujettis à cet impôt.
"Il n'y aura pas de tour de passe-passe où l'on supprime des milliards pour aller les chercher ailleurs", a promis vendredi le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, à propos de la taxe d'habitation. "L'idée générale du gouvernement et du président est de baisser les impôts", a-t-il ajouté.
La suppression totale de la taxe d'habitation avait été annoncée en novembre par Emmanuel Macron, contraint de prendre en compte les risques constitutionnels planant sur sa réforme -- qui prévoyait à l'origine de supprimer cet impôt uniquement pour 80% des ménages.
Mais jusqu'à présent, le gouvernement avait entretenu le flou sur le financement de ce geste fiscal supplémentaire, chiffré à près de neuf milliards d'euros par Bercy, liant cette réforme à une refonte plus globale de la fiscalité locale.
Concernant la dette de la SNCF, au coeur de multiples spéculations, le gouvernement a également montré patte blanche. "C'est bien l'argent du contribuable qui va payer la facture" mais "il n'y aura aucune augmentation d'impôt et aucun impôt nouveau", a martelé Gérald Darmanin.
Un message très politique, alors que le spectre du ras-le-bol fiscal plane sur ce début du quinquennat. "Le gouvernement a sans doute en tête ce qui s'est passé sous François Hollande. Il veut éviter ce genre d'erreur", observe Antoine Bozio, directeur de l'Institut des politiques publiques (IPP).
- "On est dans le flou" -
Comment le gouvernement compte-t-il financer ces mesures nouvelles, en l'absence de hausse d'impôt? Interrogé sur ce point, le ministre des Comptes publics a promis une "baisse de la dépense publique", en restant évasif sur les montants et les politiques publiques concernées.
"Le problème, c'est que l'objectif de baisse de la dépense annoncé par le gouvernement était déjà très ambitieux", rappelle François Ecalle, ancien magistrat à la Cour des comptes et fondateur du site fipeco.fr, "sceptique" sur la capacité de l'exécutif à tenir ses engagements.
Lors de la présidentielle, Emmanuel Macron avait promis de réaliser 60 milliards d'euros d'économies, de façon à faire baisser le taux de dépense publique hexagonal de trois points de PIB. Un chiffre que le gouvernement va devoir revoir à la hausse s'il souhaite tenir sa trajectoire budgétaire.
Où récupérer cet argent? Pour Antoine Bozio, le regain de croissance pourrait donner quelques marges de manoeuvre, en faisant mécaniquement baisser le taux de dépense publique rapporté au PIB. "Mais cela ne suffira pas", ajoute l'économiste.
Transports, audiovisuel public, aide aux entreprises... Pour l'aider à trouver des pistes d'économie, le gouvernement -- qui pourrait choisir de maintenir la taxe d'habitation sur les résidences secondaires, afin de récupérer 2 à 3 milliards d'euros -- a mis en place un groupe de réflexion, baptisé "Comité Action Publique 2022".
Mais les propositions de ce comité se font attendre, et le gouvernement fait planer le suspense sur ses intentions. "Il faut dire les choses: on est dans le flou, et ce flou tend à durer", estime François Ecalle, qui juge particulièrement compliquée la suppression de la taxe d'habitation.
"La dette de la SNCF est importante mais sa reprise est plus aisée, car il s'agit d'une mesure ponctuelle. La réforme de la taxe d'habitation est plus problématique, car elle implique de trouver huit milliards de façon pérenne", détaille le fiscaliste. "Je vois mal comment cela pourrait se faire sans hausse d'impôt, à moins de laisser filer le déficit."