La chancelière Angela Merkel veut profiter de la crise irlandaise pour tenter d'imposer les exigences allemandes, en particulier l'instauration d'un mécanisme de crise permanent qui implique les investisseurs privés.
Les déboires de l'Irlande, forcée de demander l'aide de ses partenaires dimanche, sont à cet égard pain bénit pour elle: ils lui donnent l'occasion de marteler jour après jour son message de rigueur budgétaire et d'intransigeance à l'égard d'acteurs de marché qu'elle juge largement responsables des turbulences actuelles.
Mercredi c'est devant les députés allemands qu'elle a lancé sa nouvelle charge. "Ceux qui gagnent de l'argent avec les taux élevés, avec les obligations souveraines, doivent supporter aussi les risques", a-t-elle dit, appelant ses partenaires européens à avoir "le courage" de faire porter le chapeau des difficultés financières d'un Etat aussi à ses créanciers privés.
Le "mécanisme de crise permanent" réclamé par Berlin devra prendre mi-2013 le relais du fonds de soutien européen instauré en mai, et régler la manière dont les détenteurs d'obligations d'un Etat devront mettre la main à la poche pour venir en aide au pays en question, si ses finances publiques dérapent au point qu'il doit être soutenu.
L'Allemagne, plus gros bailleur de fonds dans les actions de sauvetage pan-européennes, veut attacher aux obligations souveraines émises en zone euro à partir de 2013 des clauses spéciales qui permettraient de modifier les conditions de remboursement, selon un document obtenu par l'AFP.
Une majorité qualifiée de créanciers pourrait imposer un rééchelonnement des paiements, une baisse des taux ou une décote, le fameux "haircut" qui affole tant les investisseurs. Mais qui sonne agréablement aux oreilles des citoyens allemands.
"Merkel doit rendre des comptes aux contribuables allemands et à la Cour constitutionnelle", qui doit encore statuer sur une plainte déposée par un groupe d'Euro-sceptiques qui jugent l'aide à d'autres membres de la zone euro anti-constitutionnelle, commente Jane Foley, stratégiste de la banque Rabobank. "Et le contribuable allemand, qui est l'électeur allemand, ne veut pas garantir les dettes des Irlandais et des Grecs à l'infini", résume-t-elle à l'AFP.
Mercredi, Bild, le quotidien le plus lu du pays, titrait ainsi: "Devons-nous payer pour toute l'Europe?".
"Sur le fond la plupart des gens sont d'accord avec elle, quand vous achetez une obligation vous devez assumer une part de risque", selon Mme Foley. Mais "la façon dont elle l'a dit (...) laissait croire que si on achetait de la dette irlandaise ou grecque cette année, on courait un risque de ne pas revoir son argent".
Or, Berlin prend garde désormais à bien le préciser, les dispositions à l'étude ne s'appliqueront qu'à partir de 2013. Et encore, il faudra atteindre six à huit ans avant que le mécanisme ne prenne pleinement effet, selon le texte de sa proposition.
La croisade allemande ne fait pourtant pas l'unanimité. Ewald Novotny, membre du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE), s'est dit mardi "irrité" par les propos alarmistes de la chancelière, qui avait parlé de "situation extrêmement sérieuse" pour l'euro avant d'exposer ses projets de réforme.
La BCE s'inquiète des effets néfastes sur les marchés d'annonces concernant les risques encourus par les créanciers privés.
"Les marchés s'inquiètent" quand on parle d'implication des créanciers, a reconnu la chancelière. Mais "il s'agit ici de la primauté de la politique, des limites du marché", a-t-elle répété.