L'économie en pleine crise du Zimbabwe vit désormais au rythme des cris des vendeurs de rue qui sont de plus en plus nombreux à tenter de gagner péniblement leur vie, au détriment des commerçants et de la santé des finances publiques.
Ces vendeurs informels sont des travailleurs licenciés, des élèves ayant abandonné l'école ou de jeunes diplômés. Dans leurs échoppes, ils écoulent aussi bien des médicaments et des CD piratés que des légumes ou des vêtements, bien souvent à quelques mètres seulement des commerces légaux qui fournissent les mêmes produits.
Canton Matope, un commerçant, déplore cet afflux de vendeurs sans licence qui selon lui cassent le marché.
"Ils mettent leurs marchandises sur le pas de nos portes et accostent les clients en leur disant que nos prix sont supérieurs aux leurs", se plaint-il.
Accablés par les taxes, le loyer et le prix de leurs licences, ces commerçants ne peuvent concurrencer les prix des vendeurs informels, explique-t-il.
Mais pour Sherry Njere, 39 ans, qui vit avec son mari sans emploi, le commerce informel est avant tout une question de survie.
"Je ne fais pas ça parce que je l'ai décidé mais parce qu'il n'y a pas de travail", se justifie cette mère de trois enfants, à côté de son stand où elle vend des uniformes scolaires juste devant une boutique qui propose exactement la même marchandise.
"Si je ne fais pas ça et que je reste à la maison, mes enfants mourront de faim", ajoute-t-elle.
L'économie du Zimbabwe est en crise profonde depuis le début des années 2000 après la réforme agraire du président Mugabe qui a brisé un secteur-clé de l'économie du pays.
Les lois d'indigénisation qui exigent que la majorité des parts des entreprises soient détenues par des Zimbabwéens sont également critiquées car elles feraient fuir les investisseurs étrangers.
Robert Mugabe, 91 ans, est au pouvoir depuis l'indépendance du pays de la Grande-Bretagne en 1980 et a été réélu en 2013 en promettant notamment la création de 2 millions d'emplois. Mais selon des économistes indépendants, 80% de la population active zimbabwéenne est toujours au chômage, alors que des millions de ressortissants ont fui le pays ces dernières années pour chercher du travail ailleurs, notamment en Afrique du Sud.
L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) estime que 72% de la population vit sous le seuil de pauvreté avec moins de 1,25 dollar par jour.
Sherry Njere affirme gagner 50 dollars lors de ses meilleurs journées, une somme qu'elle partage entre l'achat de ses nouvelles commandes et les dépenses pour nourrir sa famille.
- Génération sacrifiée -
Gershem Pasi, directeur général de l'administration fiscale zimbabwéenne, confirme que le nombre croissant de vendeurs informels a un impact direct sur les rentrées fiscales du pays.
"Nous recevons des plaintes des commerçants officiels qui n'ont plus assez de revenus pour payer leurs taxes", explique-t-il regrettant l'émergence d'une génération "sacrifiée", qui ne connaîtra "peut-être jamais l'emploi dans le secteur formel".
Le mois dernier, des centaines de vendeurs de rue ont déposé une pétition devant le Parlement après que les autorités ont menacé de les évacuer des rues, en utilisant la force si nécessaire.
Une date limite avait été fixée au 26 juin pour qu'ils démontent leurs stands. Mais en l'absence d'action concrète des autorités, rien n'a changé et les vendeurs continuent d'utiliser chaque centimètre de trottoir.
En 2005, dans une opération condamnée par les Nations Unies, la police anti-émeutes avait été déployée pour chasser les vendeurs informels et démolir leurs logements, en plein hiver austral.
Selon un rapport de l'ONU, 700.000 personnes avaient alors perdu leur logement et leur source de revenus lors de cette opération appelée "Murambatsvina" (se débarrasser des ordures, en langue shona).
Alors que la menace d'une nouvelle répression plane, la première dame zimbabwéenne Grace Mugabe a intimé à la police l'ordre de ne pas arrêter les vendeurs informels des centres-villes.
Cet appel, lancé par celle qu'on surnomme pourtant "Gucci Grace" en raison de son goût pour les marques de luxe, a été interprété comme une autorisation tacite et a conduit à un nouvel afflux de vendeurs.