TRIPOLI (Reuters) - Les chefs de la diplomatie française et allemande ont apporté samedi à Tripoli leur soutien et celui de l'Europe au nouveau gouvernement libyen, chargé de rassembler un pays miné par les rivalités et livré au chaos depuis la chute de Mouammar Kadhafi.
Cette visite surprise s'inscrit dans les efforts de l'Union européenne pour peser sur un règlement du conflit libyen face au risque d'une nouvelle vague incontrôlée de migrants, notamment en Italie, si la paix ne revient pas en Libye.
Les pays occidentaux voient aussi dans le retour à la stabilité politique en Libye une condition décisive pour endiguer la menace de l'organisation Etat islamique (EI), qui a profité du vide politique pour prendre pied dans ce pays.
Jean-Marc Ayrault et Frank-Walter Steinmeier avaient été précédés par leur homologue italien, Paolo Gentiloni, dans la capitale de l'ancienne colonie italienne.
Ils ont rencontré le chef du nouveau gouvernement d'union nationale, Fayez el Sarraj, dans la base navale de Tripoli où il est installé sous très haute sécurité depuis deux semaines.
"Pour que la Libye s'en sorte (...) et que les Libyens puissent avoir un peu d'espoir, il faut un gouvernement légal d'union nationale", a dit le ministre français à la presse.
"Ils ne sont pas encore au bout de leur travail, il faut que l'action concrète commence. Mais il y a déjà des choses qui sont faites", a ajouté Jean-Marc Ayrault, qui a cité le contrôle de la Banque centrale et de la compagnie nationale du pétrole.
"Et puis il faut que le Parlement conforte le gouvernement en votant son investiture", a-t-il poursuivi. "Et la suite c'est une Libye stable, une Libye qui protège ses citoyens mais aussi qui lutte contre Daech (acronyme arabe de l'EI) avec nous."
CRÉDIBILITÉ
Cette visite précède un dîner des ministres européens des Affaires étrangères et de la Défense qui sera consacré à la situation libyenne, lundi à Luxembourg. La formation de policiers et de garde-frontières libyens pourrait alors être examinée et Fayez el Sarraj sera en liaison vidéo avec les ministres européens.
Frank-Walter Steinmeier a dit à cet égard qu'il serait plus réaliste que la formation de militaires libyens par les Européens débute en dehors du territoire libyen.
"Je crois qu'il est assez réaliste de dire que nous devrons, à mon avis, entamer les plans de formation en dehors de Libye", a dit le ministre allemand à la presse, ajoutant que par la suite, cet entraînement pourrait se faire en Libye même.
De son côté, l'Otan est prête à aider le nouveau pouvoir soutenu par l'Onu à reconstruire son système de sécurité, a déclaré samedi le secrétaire général adjoint de l'Organisation de l'Alliance atlantique, le général Alexander Vershbow.
Selon une source diplomatique française, l'Europe, qui fut en 2011 à la pointe de l'intervention militaire ayant conduit au renversement de Mouammar Kadhafi, ne veut pas aujourd'hui se laisser déborder par la Russie et les Etats-Unis.
"L'enjeu, pour nous, c'est de mettre les Européens à bord (...) pour qu'il n'y avait pas un nouveau scénario russo-américain comme en Syrie", explique-t-on.
L'installation du gouvernement Sarraj, formé à l'issue de longues négociations, rencontre de fortes oppositions dans le pays, notamment des deux autorités basées dans l'Ouest et l'Est.
"Il n'y a pas d'alternative à ce gouvernement", dit-on de même source française. "Sarraj incarne la solution politique, il y a un certain nombre de soutiens et la dynamique est toujours là. Donc, on veut donner un coup de projecteur" sur lui.
Son grand défi "reste de mettre la main sur les militaires à Tripoli et sur l'Est", dit-on encore. "On a le sentiment que la population libyenne a envie de soutenir le gouvernement et une certaine lassitude par rapport au désordre qui règne depuis cinq ans. Et ça, ça crédibilise Sarraj."
PAS DE DEMANDE MILITAIRE POUR LE MOMENT
La France, qui a fermé comme de nombreux autres pays occidentaux son ambassade dans le pays en 2014, a indiqué la semaine dernière qu'elle entendait rouvrir une chancellerie dès que les conditions de sécurité le permettraient.
Engagée dans la coalition contre l'EI en Irak et en Syrie et contre les groupes islamistes armés dans le Sahel, elle mène par ailleurs depuis novembre des vols de reconnaissance au-dessus de la Libye. Elle a dépêché des conseillers militaires sur place aux côtés des Britanniques et des Américains.
Après avoir poussé en faveur d'une intervention militaire, les dirigeants occidentaux se montrent depuis plusieurs semaines plus prudents pour laisser toute sa chance à l'option politique.
Dans une allusion à l'opération de 2011, Jean-Marc Ayrault a prévenu début avril que la France ne reproduirait pas "les erreurs du passé" en intervenant militairement mais qu'elle était prête à aider à "sécuriser" le nouveau gouvernement.
"Il n'y a pas eu de demande pour le moment de Sarraj sur le volet militaire", souligne la même source diplomatique. "La France n'est pas hostile à une intervention militaire mais il faut que ce soit via une demande (des Libyens) à la communauté internationale et que ce soit raccordé au processus politique."
(Aiden Lewis, avec John Irish à Genève, Tatiana Jancarikova à Bratislava et Marine Pennetier, édité par Emmanuel Jarry)