par Caroline Pailliez
PARIS (Reuters) - Le gouvernement a agité lundi de nombreux chiffons rouges devant les partenaires sociaux dans sa réforme "big bang" de la formation professionnelle, notamment en les écartant de la collecte des fonds de ce chantier à 31,6 milliards d'euros.
La ministre du Travail a donné le coup d'envoi de la prochaine réforme sociale qui vise, avec la refonte de l'apprentissage et de l'assurance chômage, à préparer la population à "la transformation des métiers" et aux "mutations technologiques", avec l'objectif de réduire le chômage.
Un projet de loi commun à la réforme de la formation professionnelle, de l'apprentissage et de l'assurance chômage sera présenté lors la première quinzaine d'avril.
"Il faut reconnaître qu'une bataille mondiale de la compétence est engagée qui est le corollaire de la bataille de l'innovation pour créer de la valeur ajoutée", a déclaré Muriel Pénicaud lors d'une conférence de presse. "Les pays les plus dynamiques économiquement demain sont ceux qui feront progresser en compétences les actifs."
La ministre, qui avait jugé de manière contrastée l'accord signé par les partenaires sociaux dans la nuit du 21 au 22 février, avait annoncé un "big bang" du secteur, alors que syndicats et patronat l'avaient exhorté à préserver l'équilibre qu'ils avaient atteint.
Muriel Pénicaud a annoncé que le gouvernement entendant "aller plus loin" en complétant cet accord "par une transformation du système pour le rendre plus simple, plus efficace, et faire en sorte que les droits créés deviennent très concrets pour les personnes et les entreprises".
LES SALARIÉS "DÉMARCHÉS"
Première mesure: un abondement du compte personnel de formation en euros et non plus en heures.
Le CPF sera crédité de 500 euros par année avec un plafond à 5.000 euros. Les personnes sans qualifications verront leur compte abondé de 800 euros, plafonné à 8.000 euros. Les comptes pourront également être crédités par les entreprises et les branches par des accords collectifs.
"Les euros sont beaucoup plus concrets et lisibles pour chacun et permettent toutes sortes de formations", a expliqué Muriel Pénicaud.
Une application mobile CPF sera mise en place pour que chaque actif puisse connaître le montant des crédits restants sur son compte et s'inscrire directement aux formations.
Patronat et syndicats, qui craignent une inflation des prix, jugent dangereux de changer d'unité de mesure.
"A terme ce sera une baisse des droits", a déclaré à Reuters Michel Beaugas, secrétaire confédéral pour FO.
La secrétaire confédérale de la CGT, Catherine Perret, dénonce une libéralisation à outrance dans laquelle les salariés vont être "démarchés par les organismes". "Ils vont essayer de vendre la formation professionnelle comme on vend une voiture."
Autres mesures qui suscitent l'ire des partenaires sociaux: la mise à l'écart des OPCA (Organismes paritaires collecteurs agrées) de la collecte des fonds dédiés à la formation.
Ce seront les Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSS), organismes privés chargés d'une mission de service public, qui récupèreront les montants provenant de la nouvelle taxe unique (apprentissage et formation). Cette taxe, inchangée, représente 1,68% de la masse salariale pour les entreprises de plus de 11 salariés et 1,23% pour les autres, soit près de neuf milliards d'euros.
LES URSSAF COLLECTEURS
Les OPCA seront remplacées par des opérateurs de compétences - moins nombreux - qui seront chargés d'anticiper la transformation des métiers et appuieront les branches qui le souhaitent pour la co-construction des diplômes.
Une agence nationale, France compétences, remplacera également les trois instances de gouvernance paritaires actuelles (FPSPP, Cnefop, Copanef) pour contrôler la qualité des formations dispensées et leurs prix. Elle sera gérée par l'Etat, les régions et les partenaires sociaux.
Pour FO, il s'agit de la "fin du paritarisme dans la formation professionnelle".
La CFDT estime qu'une "telle évolution mérite plus de transparence en terme d'impact financier et d'opérationalité". Elle réclame une "concertation rapide pour que ces changements ne conduisent pas à un chamboule-tout destructeur".
Les organisations patronales aussi se montrent critiques vis-à-vis d'une tel revirement.
"Les annonces de ce jour démontrent une volonté de 'nationalisation' du système en donnant à des acteurs publics un rôle central. (...) C’est un contresens", a écrit le Medef dans un communiqué.
La CPME, satisfaite pour sa part de la mutualisation des fonds qui servira à financer la formation des TPE et PME, met en garde contre le risque de "recréer une usine à gaz avec l'Urssaf d'un côté et les acteurs de la formation de l'autre".
(Edité par Yves Clarisse)