PARIS (Reuters) - "Discutons!" : le gouvernement a tendu la main jeudi à la CFDT pour tenter de renouer le dialogue sur le projet de réforme des retraites qui a braqué l'ensemble des syndicats, y compris les centrales réformistes désormais ralliées à une contestation toujours vive.
Le syndicat de Laurent Berger, favorable au principe d'un régime par points porté par l'exécutif, estime qu'une "ligne rouge" a été franchie avec l'instauration progressive d'un "âge pivot" à partir de 2022 pour atteindre 64 ans en 2027 afin d'équilibrer financièrement le système.
Partagé par l'Unsa et la CFTC, son désaccord complique la donne pour l'exécutif, confronté à un mouvement de grèves qui paralyse les transports depuis huit jours et menace de se poursuivre pendant les fêtes de fin d'année. Le scénario de 1995, avec plus de trois semaines de grèves contre le plan Juppé, s'insinue dans les esprits.
"Je l'ai dit hier : ma porte est ouverte et ma main est tendue", a écrit jeudi Edouard Philippe sur son compte Twitter (NYSE:TWTR). "J'appellerai dès cet après-midi les leaders syndicaux et les représentants des employeurs pour voir avec eux comment reprendre rapidement le dialogue."
Le Premier ministre a présenté mercredi un projet de réforme avec des concessions à Laurent Berger, comme la prise en compte de la pénibilité, l'introduction d'une pension minimale de 1.000 euros nets par mois ...mais la mesure paramétrique sur l'âge d'équilibre a mis à bas l'édifice.
"FORMIDABLE GÂCHIS"
"Voir que le compromis est à portée de main et le balayer pour une question de dogmatisme budgétaire est une profonde erreur", estime dans Les Echos Laurent Berger.
"J'espère qu'on ne va pas dans le mur, en tout cas la CFDT n'en portera pas la responsabilité, j'espère qu'on va aller vers un apaisement et une rediscussion", a-t-il ajouté sur BFM TV, appelant de ses voeux une réunion entre le Premier ministre et "tous ceux qui veulent s'inscrire dans une réforme universelle des retraites".
L'économiste Antoine Bozio, qui a inspiré Emmanuel Macron pour le système par points, regrette dans Le Monde un "formidable gâchis"."Le gouvernement a réussi à obscurcir toutes les avancées sociales possibles d’un tel système, pour mettre en avant une mesure budgétaire", écrit-il dans une tribune.
Dans une déclaration commune publiée jeudi, la CFDT, la CFTC, l'Unsa et la FAGE, organisation étudiante, demandent que le gouvernement apporte de nouvelles réponses à des "sujets cruciaux pour les travailleurs" : pénibilité, retraite progressive, minimum de pension, mesures pour les fonctions publiques et les régimes spéciaux.
Il y a "de la place pour la discussion, pour la négociation, sur la pénibilité, sur les modalités pour parvenir à l'équilibre", a assuré sur France 2 le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire.
"Si les partenaires sociaux se mettent d'accord sur autre chose (pour parvenir à l'équilibre-NDLR), le gouvernement écoutera les partenaires sociaux", a abondé le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, sur Europe 1.
"L'ÂGE PEUT ÊTRE DISCUTÉ"
Les options alternatives ne sont pas légion : baisse des pensions, augmentation des cotisations patronales, hausse des cotisations des salariés.
"L'âge peut être discuté", a déclaré pour sa part la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, sur BFM TV.
Selon le projet gouvernemental, la future gouvernance du système, au sein de laquelle les partenaires sociaux occuperont une place déterminante, sera chargée de définir les étapes menant à l'âge d'équilibre du régime universel.
"En l'absence de décision de la gouvernance, la loi fixera à compter du 1er janvier 2022 un âge d'équilibre à 62 ans et quatre mois, qui augmentera ensuite de quatre mois par an pour rejoindre progressivement l'âge d'équilibre du futur système, soit 64 ans en 2027", précise un document de Matignon.
Des manifestations se sont de nouveau déroulées en France jeudi, notamment à Paris, et même si l'affluence recule, la détermination reste forte dans l'attente d'une nouvelle démonstration de force mardi, à laquelle la CFDT se joint.
"Je serai obligée de travailler plus longtemps pour avoir une retraite convenable, c’est ce qui me choque le plus dans les annonces d’Edouard Philippe. C’est pour ça qu’on manifeste", témoigne Masha, 52 ans, secrétaire administrative à La Poste.
"Même à 52 ans, on commence à être fatiguée. J’ai 1h30 de transports tous les matins pour aller au travail. Je ne me vois pas travailler jusqu’à 64 ans. L’argent il y en a, on peut continuer avec notre régime actuel", ajoute-t-elle dans le cortège parisien.
(Caroline Pailliez, Marine Pennetier, Sophie Louet, édité par Jean-Stéphane Brosse)