PARIS-ROME (Reuters) - La querelle diplomatique entre la France et l'Italie s'est brusquement envenimée jeudi avec la décision de Paris de rappeler son ambassadeur à Rome, une initiative sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale à laquelle Rome a répondu par un appel à l'apaisement.
La France dénonce de la part des deux vice-présidents du Conseil italien - Luigi Di Maio, chef de file du Mouvement 5 Etoiles (anti-système) et Matteo Salvini, leader de la Ligue (extrême droite) - des "accusations répétées", "attaques sans fondement", "déclarations outrancières" et "ingérences" qu'elle juge sans "précédent depuis la fin de la guerre".
"Tous ces actes créent une situation grave qui interroge sur les intentions du gouvernement italien vis-à-vis de sa relation avec la France", souligne la porte-parole du Quai d'Orsay, Agnès Von Der Mühll, dans un communiqué.
La "provocation" de trop, pour Paris, fut mardi la rencontre en France entre Luigi Di Maio et des représentants des "Gilets jaunes" auxquels le vice-président du Conseil avait publiquement manifesté son soutien début janvier.
"Avoir des désaccords est une chose, instrumentaliser la relation à des fins électorales en est une autre", déclare Agnès Von Der Mühll. Rompant avec le ton jusqu'ici distant de l'exécutif français, le Quai d'Orsay avait déjà jugé "inacceptable" mercredi l'attitude de Luigi Di Maio.
"Il n'est pas fréquent de rappeler un ambassadeur entre pays membres de l'Union européenne", a expliqué la ministre française des Affaires européennes, Nathalie Loiseau, sur franceinfo. "C'est donc une manifestation de mauvaise humeur de notre part."
En janvier, Emmanuel Macron expliquait refuser de répondre aux attaques verbales sans "aucun intérêt" des deux vice-présidents du Conseil italien. "La seule chose qu'ils attendent, c'est ça. Donc, bon courage et bonne agitation, bonne route, moi je parle au président (du Conseil Giuseppe) Conte", avait lancé le président français.
Les termes de la déclaration émise jeudi par le ministère français des Affaires étrangères sont désormais sans détour: "Les dernières ingérences constituent une provocation supplémentaire et inacceptable."
"Elles violent le respect dû au choix démocratique, fait par un peuple ami et allié. Elles violent le respect que se doivent entre eux les gouvernements démocratiquement et librement élus", peut-on lire.
"JE NE VEUX DE CONFLIT AVEC PERSONNE"
Matteo Salvini, qui est également le ministre de l'Intérieur, a répondu dans un communiqué que l'Italie ne cherchait pas de conflit avec la France et marqué sa volonté de "tourner la page".
"Je ne veux de conflit avec personne, les polémiques ne m'intéressent pas", affirme-t-il, tout en demandant à la France de cesser de refouler les migrants à la frontière et d'héberger des "terroristes" italiens.
Luigi Di Maio a pour sa part rappelé les liens unissant l'Italie au peuple français, "notre ami et notre allié", avant d'expliquer que sa rencontre avec des représentants du mouvement des "Gilets jaunes" était tout à fait légitime.
"Il ne s'agissait pas d'une provocation contre le gouvernement français mais au contraire d'une réunion importante avec une force politique avec laquelle nous avons beaucoup en commun, notamment sur le besoin de démocratie directe afin de donner plus de pouvoir aux citoyens", a-t-il écrit sur Facebook (NASDAQ:FB).
Luigi di Maio a également rappelé qu'Emmanuel Macron avait à plusieurs reprises critiqué le gouvernement italien parce qu'il ne partageait pas sa vision de l'Europe. De Beyrouth, Giuseppe Conte a insisté sur la profondeur des liens bilatéraux.
"J'aimerais dire que la relation entre l'Italie et la France est ancrée dans l'Histoire et qu'elle ne peut pas être remise en question par des incidents", a-t-il dit lors de ce déplacement officiel. "Je crois que la situation peut être immédiatement réglée", a-t-il poursuivi.
Si la riposte française est inédite sur le plan bilatéral, elle ne l'est pas au niveau européen.
Ainsi la Grèce avait-elle rappelé son ambassadeur en Autriche en 2016 à la suite d'une réunion à Vienne sur la crise migratoire européenne à laquelle elle n'avait pas été conviée. En 2017, c'est la Hongrie qui avait rappelé son ambassadeur aux Pays-Bas après des critiques contre Viktor Orban.
L'ambassadeur de France en Italie, Christian Masset, en poste depuis octobre 2017, devait quitter Rome jeudi en fin d'après-midi, ont fait savoir ses services.
(Sophie Louet avec Simon Carraud, Nicolas Delame, John Irish à Paris, Crispian Balmer à Rome, édité par Yves Clarisse)