par Daren Butler et Oliver Holmes
MURSITPINAR Turquie/BEYROUTH (Reuters) - Les djihadistes de l'Etat islamique (EI) contrôlent désormais plus d'un tiers de Kobani malgré les frappes américaines en appui aux peshmergas kurdes, a rapporté jeudi l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH).
Trois semaines après le début de leur offensive contre cette ville du nord de la Syrie adossée à la frontière turque, les combattants de l'EI sont parvenus lundi à hisser leur drapeau noir à l'extrémité est de Kobani. Depuis, les raids aériens de la coalition emmenée par les Etats-Unis ont redoublé d'intensité, sans parvenir à enrayer la progression des radicaux sunnites.
Mercredi, ces derniers sont parvenus à entrer dans deux quartiers et ils tentaient jeudi de pousser leur avantage, selon l'OSDH, qui rend compte de l'évolution du conflit syrien par le biais d'un réseau d'informateurs sur le terrain.
L'Etat islamique a réussi au cours de la nuit à hisser son drapeau à l'intérieur même de la ville.
"(L'Etat islamique) contrôle plus d'un tiers de Kobani. Tous les quartiers est, une petite partie du nord-est et un secteur dans le sud-est", a déclaré par téléphone le directeur de l'OSDH, Rami Abdelrahman.
Esmat al Cheikh, chef des forces kurdes à Kobani, a pour sa part déclaré que les combattants de l'Etat islamique avaient pris environ un quart de la ville dans sa partie orientale. "Les affrontements se poursuivent, des batailles de rue", a-t-il dit à Reuters par téléphone de Kobani.
Une explosion a retenti jeudi dans les faubourgs ouest de la ville, majoritairement kurde. De la frontière turque, à quelques kilomètres de distance, on pouvait apercevoir une épaisse fumée noire. Un avion de chasse est passé dans le ciel tandis que des coups de feu sporadiques résonnaient en provenance de la ville assiégée.
LA TURQUIE EXCLUT D'INTERVENIR SEULE AU SOL
La prise de Kobani permettrait à l'Etat islamique de renforcer son contrôle sur les territoires du nord de la Syrie frontaliers de la Turquie.
Les défenseurs kurdes de la ville lancent des appels à l'aide désespérés en affirmant que la chute de Kobani se terminera par un massacre. Environ 200.000 personnes ont déjà fui vers la Turquie pour échapper aux djihadistes, qui contrôlent de vastes territoires en Syrie et en Irak.
D'après l'Onu, il ne reste plus que quelques centaines d'habitants à Kobani.
Le Parlement d'Ankara a autorisé le 2 octobre une intervention militaire en Syrie et en Irak mais les chars turcs positionnés à la frontière face à Kobani sont jusqu'à présent restés immobiles.
"Il n'est pas réaliste d'attendre de la Turquie qu'elle mène par elle-même une opération terrestre . Nous avons des discussions (...) Une fois qu'il y aura une décision commune, la Turquie ne se privera pas de jouer son rôle", a insisté jeudi Mevlut Cavusoglu, le ministre turc des Affaires étrangères.
La Turquie est engagée dans un processus de paix avec sa propre minorité kurde. Or elle a accueilli avec méfiance la création en 2013 d'une administration autonome par le Parti de l'union démocratique kurde (PUD) dans trois cantons du nord-est de la Syrie abandonnés par le régime de Bachar al Assad.
Ankara exige que les Kurdes syriens, qui lui réclament l'ouverture d'un couloir entre Kobani et la Turquie, renoncent à cette autonomie.
WASHINGTON DEMANDE DE "PRENDRE DU RECUL"
Saleh Muslim, co-président du PUD, a rencontré des responsables turcs la semaine dernière en Turquie mais ces entretiens n'ont pas été concluants, a-t-on appris de sources kurdes.
"Nous avons dit à la Turquie qu'il n'était pas possible pour nous de revenir en arrière", a déclaré cette semaine à Reuters Asya Abdullah, co-présidente du PUD, qui s'exprimait par téléphone de Kobani.
L'immobilisme des autorités turques face à la situation à Kobani suscite la colère des Kurdes de Turquie, qui ont manifesté par milliers mardi à travers le pays, ce qui s'est soldé par 21 morts dans des affrontements avec les forces de l'ordre. Des heurts se sont à nouveau produits dans la nuit de mercredi à jeudi à Suruç, près de la frontière.
Les Etats-Unis, qui critiquent en termes voilés la passivité turque et ont exclu l'envoi de troupes au sol, ont pour leur part prévenu que des frappes aériennes ne permettraient pas à elles seules d'empêcher la chute de Kobani aux mains de l'Etat islamique.
Ils ont en outre minimisé mercredi l'importance stratégique de cette ville.
"Aussi horrible que ce soit d'observer en temps réel ce qui se passe à Kobani (...), vous devez prendre du recul et comprendre l'objectif stratégique (des Etats-Unis)", a déclaré John Kerry mercredi aux journalistes.
"Au-delà de la crise à Kobani, les cibles initiales de nos frappes sont les centres de commandement et de contrôle (des djihadistes), les infrastructures", a poursuivi le secrétaire d'Etat.
(Avec Tom Perry à Beyrouth et Humeyra Pamuk, Tulay Karadeniz et Jonny Hogg à Istanbul; Bertrand Boucey pour le service français, édité par Marc Angrand)