par Abdoulaye Massalaki
NIAMEY (Reuters) - Le mouvement de colère contre la publication d'une caricature du prophète Mahomet dans l'hebdomadaire Charlie Hebdo s'est étendu samedi au Niger, gagnant la capitale, Niamey, où au moins cinq personnes ont été tuées, plusieurs églises incendiées et des magasins pillés.
Au lendemain d'émeutes à Zinder, la deuxième ville du pays, où cinq personnes au moins ont été tuées et 45 autres blessées, le ministère français des Affaires étrangères a appelé les Français présents au Niger à "renforcer la vigilance, respecter les conseils de sécurité et éviter les rassemblements et les attroupements".
"La France condamne le recours à la violence, aujourd'hui à Niamey, hier à Zinder", a déclaré Laurent Fabius dans un communiqué diffusé en début de soirée.
A Niamey, police a tiré des grenades lacrymogènes contre de jeunes manifestants qui s'en sont pris samedi à un commissariat de police et ont incendié au moins six églises et pillé des magasins. Des drapeaux français ont également été brûlés.
Le président nigérien Mahamadou Issoufou est intervenu samedi soir à la télévision pour appeler au calme. Il a fait état de cinq morts et a annoncé l'ouverture d'une enquête en promettant de punir les auteurs de violences.
"Ceux qui pillent et profanent des sites religieux, ceux qui persécutent et tuent leurs compatriotes chrétiens ou les étrangers qui vivent sur notre sol n'ont rien compris à l'islam", a-t-il déclaré.
Mahamadou Issoufou, qui a participé à la grande marche républicaine organisée dimanche dernier à Paris, a néanmoins ajouté qu'il partageait le sentiment des musulmans qui se sont sentis offensés par la nouvelle caricature du prophète Mahomet publiée par Charlie Hebdo.
Liberté d'expression ne veut pas dire liberté d'insulter les convictions religieuses, a-t-il insisté.
A Niamey, les heurts ont éclaté lorsque les autorités ont interdit une marche organisée à l'appel de dignitaires musulmans locaux.
"Ils ont offensé notre prophète Mahomet. C'est ça que nous n'aimons pas, c'est la raison pour laquelle nous avions demandé aux musulmans de se rassembler mais l'Etat a refusé, c'est pour cela que nous sommes en colère aujourd'hui", a expliqué un des manifestants, Amadou Abdoul Ouahab.
APPEL À MANIFESTER DIMANCHE
Le calme est revenu dans l'après-midi mais quatre corps calcinés ont été retrouvés dans des églises incendiées et le corps d'une femme, probablement asphyxiée par les gaz lacrymogènes, découvert dans un bar.
Des associations islamiques ont appelé à une nouvelle marche de protestation dimanche à Niamey, ce qui pourrait provoquer de nouvelles violences. Quatre prédicateurs à l'origine de l'appel à manifester ont été arrêtés.
D'autres manifestations ont été signalées à travers le pays, très majoritairement musulman. A Maradi, à 600 km à l'est de Niamey, où deux églises ont été incendiées. Une autre église a été ravagée par les flammes dans la ville de Gouré (est), de même qu'une résidence appartenant au ministre des Affaires étrangères.
Le bilan des violences de la veille à Zinder s'est alourdi à cinq morts après la découverte d'un cadavre calciné dans une église incendiée. L'antenne locale du centre culturel franco-nigérien de la ville a également été mise à sac.
Dans son dernier numéro, le premier depuis l'attaque contre son siège qui a fait douze morts le 7 janvier à Paris, Charlie Hebdo publie en une, sous le titre "Tout est pardonné", une caricature du prophète Mahomet, la larme à l'oeil et tenant un panneau "Je suis Charlie".
Cette une a suscité la colère de musulmans qui considèrent que la représentation du prophète est un blasphème.
D'autres rassemblements ont eu lieu après les grandes prières du vendredi dans des pays comme le Mali, le Sénégal ou la Mauritanie. A Alger, des heurts se sont produits à la fin d'une manifestation contre le journal. Des violences se sont également produites au Pakistan.
Les 17 millions d'habitants du Niger sont musulmans à quelque 80%.
Le gouvernement, laïc, a réussi, avec l'aide des influentes organisations soufies, à éviter que le pays ne soit le théâtre d'une insurrection islamiste comme au Nigeria et au Mali. Ces dernières années cependant, le nombre de manifestations organisées par des associations musulmanes radicales a progressé, principalement sur des questions sociales.
(Jean-Stéphane Brosse, Henri-Pierre André et Tangi Salaün pour le service français)