Le scénario n'a plus rien de tabou pour les économistes européens: si la Grèce quitte l'euro, il lui faudra réimprimer des drachmes tout en jugulant la panique des habitants, avant de miser, pour sa relance, sur les exportations et le tourisme.
Renouer avec ses anciennes amours est risqué: à peine réintroduite, la drachme, considérée comme monnaie la plus faible de la région, verrait son cours fondre sous la pression des marchés.
De quoi effrayer les Grecs, dont l'épargne perdrait 50% de sa valeur selon plusieurs études.
Les retraits d'argent dans les banques du pays ont d'ailleurs atteint lundi 700 millions d'euros. Un chiffre qui s'ajoute aux quelque 16 milliards d'euros qui auraient été déposés à l'étranger depuis 2009.
"Le mouvement de panique a déjà commencé", remarque Pedro Videla, professeur à l'IESE Business School de Madrid, qui juge "très probable" un retour à la drachme: "comme le pays est déjà en train de se désintégrer socialement et politiquement, je parierais qu'il va sortir de l'euro très bientôt".
La solution, selon lui? "Agir d'un coup, pendant un week-end, en fermant les banques, en empêchant les retraits d'argent".
Il faudrait que la Grèce puisse "éviter la fugue des capitaux en prenant des mesures draconiennes" comme le blocage des comptes, car le pays "est en quelque sorte dans une économie de guerre", renchérit Giuliano Noci, professeur à l'université Politecnico de Milan.
L'autre stratégie, d'un retour à la drachme annoncé à l'avance, risque au contraire d'aggraver la panique.
L'institut allemand Ifo penche pour une troisième voie: les comptes bancaires resteraient libellés en euros (pour éviter la fuite de capitaux) et l'euro continuerait à avoir cours.
Les salaires des fonctionnaires seraient eux versés en drachmes, ce qui serait aussi la monnaie pour les transactions avec l'Etat, de quoi représenter une masse critique de 60% des échanges et rendre la drachme indispensable au quotidien.
Opinion similaire chez Erik Nielsen, d'Unicredit, qui prône de garder l'euro comme monnaie d'échange jusqu'à ce que "les arrangements formels de sortie de la zone euro et de l'UE commencent".
Mais où trouver, aussi vite, tant de drachmes, alors que les vieilles devises ont toutes été détruites?
Une idée serait que "tous les billets d'euros dans les banques grecques soient marqués d'un tampon +ceci est une drachme, pas un euro+, ou leur enlever un coin" pour les différencier, avance Pedro Videla.
Car "il y a très peu d'entreprises dans le monde qui produisent des billets et monnaies officielles", note Federico Steinberg, de l'institut espagnol Elcano. Même si la fabrique nationale grecque s'en chargeait, délaissant les billets de 10 et 20 euros qu'elle produit, "cela prendrait plusieurs mois".
Entre-temps, "la transition serait assez chaotique et il pourrait apparaître des monnaies informelles alternatives ou un retour partiel au troc": "ce serait comme revenir à la préhistoire financière, mais c'est ce qui s'est passé en Argentine en 2001, et après quelques mois la situation s'est rétablie".
Place ensuite aux quelques avantages du retour à la drachme: avec une devise faible, le pays deviendrait très bon marché, de quoi attirer les touristes et devenir un exportateur compétitif, afin de retrouver le chemin de la croissance.
Mais "la dette extérieure en pourcentage du PIB exploserait, car elle serait libellée en devises, et l'inflation exploserait aussi", prévient Paula Gonçalves Carvalho, économiste à la banque portugaise BPI, qui note qu'en Grèce, "il n'y a pas d'auto-suffisance en ce qui concerne la plupart des biens essentiels".
Il faudrait donc s'assurer que le gain de compétitivité n'est pas annulé par l'inflation, tandis que le plus logique est que l'Etat "arrête de payer" sa dette, selon Pedro Videla, même si "cela signifie que la Grèce sera hors du système financier international pour des années".
Au final "je ne pense pas que la sortie de la Grèce de l'euro serait un désastre", estime Giuliano Noci. "Les exemples de défaut de paiement et de dévaluations énormes des monnaies en Argentine, en Indonésie, en Corée du Sud ou en Russie démontrent clairement que ce type de processus, s'il est bien géré, n'est pas un désastre".