PARIS (Reuters) - La France franchit un cap en décidant l'instauration de quotas d'immigration professionnelle, prévue pour 2021, afin de répondre aux besoins de main-d'oeuvre des secteurs "en tension", une décision à même d'alimenter le procès en "droitisation" d'Emmanuel Macron au sein de la majorité.
Le Premier ministre dévoilera vingt mesures mercredi à l'issue d'un comité interministériel sur l'immigration et l'intégration, qui couronne plusieurs mois de réflexion gouvernementale et un débat parlementaire sur "la politique migratoire de la France et de l'Europe".
Edouard Philippe avait alors estimé que "la question d'un pilotage par objectifs de l'admission au séjour" n'était pas "taboue".
L'idée est défendue de longue date par la droite et divise la majorité, qui s'inquiète d'un durcissement de la législation française, pour le droit d'asile notamment, alors qu'Emmanuel Macron dessine la perspective d'un nouveau duel avec la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, pour la présidentielle de 2022.
"Nous sommes face à une grande hypocrisie : les secteurs de la restauration et du BTP ne fonctionnent pas sans l'immigration. Prétendre l'inverse est faux", déclare le président dans une récente interview à Valeurs actuelles. "Je préfère avoir de la migration légale, enregistrée, sous quotas, pendant x années plutôt que du travail détaché dissimulé."
La ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a confirmé mardi sur BFM TV que le gouvernement travaillait à l'établissement d'"objectifs chiffrés" sur la base d'une liste de métiers dits "en tension" que la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) et Pôle emploi sont chargés de réactualiser.
Cette liste devrait être prête pour l'été 2020 et la réforme entrer en vigueur en 2021.
DROIT D'ASILE DURCI
Selon Le Parisien, qui a eu connaissance d'une note à ce sujet, la liste des métiers serait redéfinie chaque année par arrêté après consultation des parlementaires, "sans concurrencer la main-d'oeuvre locale".
Les secteurs considérés aujourd'hui "en tension" en France sont le bâtiment, l'hôtellerie, la restauration et les fonctions commerciales, de même que les métiers hautement qualifiés comme l'ingénierie informatique.
"On va bâtir un nouvel outil statistique territorialisé pour une remontée en temps réel des besoins locaux, la liste actuelle date d'il y a 11 ans...", a expliqué à Reuters le député La République en marche Florian Boudié. "La centralisation statistique sera faite au printemps prochain et finalisée en juillet. Lors du prochain débat parlementaire, en septembre 2020, le gouvernement annoncera un objectif chiffré".
Le député Les Républicains Eric Ciotti, qui plaide pour des quotas par nationalités et s'appliquant à l'immigration familiale et étudiante, a dénoncé "une opération d'enfumage". "On reprend des mots, mais on les dévitalise. (...) Ça n'aura qu'un impact dérisoire sur les chiffres globaux de l'immigration", a-t-il à des journalistes, à l'Assemblée nationale.
Pour l'élu du Rassemblement national Sébastien Chenu, "les quotas, c'est la réponse des faibles, (...) qui acceptent de composer avec la submersion migratoire."
"On nous vend toujours la nouvelle Marie Curie arrivée du bout du monde, moi je crois qu'on a suffisamment de gens sur notre territoire", a ajouté le député.
Parmi les autres mesures annoncées mercredi : l'instauration d'un délai de carence de trois mois pour l'accès à la protection universelle maladie (Puma, ex-CMU) et le durcissement du droit d'asile, a-t-on appris de sources parlementaires.
La France entend encore muscler sa politique d'accueil des réfugiés afin de mettre un terme aux détournements du droit d'asile - comme les "anomalies" géorgienne et albanaise - et gommer son image de pays "attractif".
(Sophie Louet avec Elizabeth Pineau et Nicolas Delame)