PARIS (Reuters) - L'Assemblée nationale a adopté mardi en première lecture, par 387 voix contre 92, la loi dite "anti-casseurs" visant à prévenir les violences dans les manifestations, malgré les réserves d'un fort contingent de la majorité qui s'est abstenu.
Signe du malaise sur ce texte jugé liberticide par ses détracteurs, 50 députés La République en marche (LaRem), un record depuis le début du quinquennat, se sont abstenus et 16 n'ont pas participé au scrutin, quelques heures après une réunion mouvementée du groupe dirigé par Gilles Le Gendre.
Des députés comme Aurélien Taché et Sonia Krimi avaient annoncé en amont qu'ils ne voteraient pas la loi, dont ils contestent en particulier l'article 2 instaurant l'interdiction administrative de manifester.
"Notre abstention n’est le signe d’aucune posture politique ni défiance à l’égard de notre majorité, mais bien de notre irrémédiable attachement à un Etat de droit dans lequel, sous aucun prétexte, la liberté de manifester ne saurait être altérée", écrivent 16 "abstentionnistes" dans un communiqué commun, écartant ainsi toute idée de "fronde" dans le groupe.
Ces abstentions "constituent un appel clair à la réécriture de l'article 2", a considéré sur Twitter (NYSE:TWTR) Matthieu Orphelin, député de la frange écologiste de LaRem.
On compte également quatre abstentions et un vote contre au Mouvement démocrate (MoDem), principal allié de LaRem au Palais-Bourbon, où le groupe UDI-Agir et Indépendants s'est montré divisé (12 voix pour, trois contre et 13 abstentions).
UNE LOI "FASCISTE" POUR LE RASSEMBLEMENT NATIONAL
Les socialistes, les communistes, La France insoumise et la quasi-totalité du groupe Libertés et Territoires ont voté contre le texte, de même que les députés du Rassemblement national, où Gilbert Collard a dénoncé une loi "liberticide et fasciste".
La grande majorité des élus des Républicains (LR) a approuvé ce texte, basé sur une proposition de loi du sénateur LR Bruno Retailleau adoptée l'automne dernier à la chambre haute.
Des organisations comme la Ligue des droits de l'homme et le Syndicat de la magistrature ont fait part de leur inquiétude sur le texte, qui va maintenant retourner au Sénat.
Le sujet avait été remis sur le métier en début d'année à la demande du Premier ministre, Edouard Philippe, en réponse aux violences commises en marge de la crise des "Gilets jaunes", qui dure depuis la mi-novembre.
"Il est essentiel que nous puissions garantir le droit de manifester en faisant en sorte que ceux qui manifestent aujourd'hui et qui viennent pour casser, pour détruire, pour frapper, soient empêchés. Empêchés d'empêcher la manifestation", a dit mardi le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, lors des questions d'actualité au gouvernement.
Voici les principales dispositions du texte:
* FOUILLES SUR LES LIEUX DE MANIFESTATION
Christophe Castaner a fixé pour but la "recherche des armes par destination" pour assurer la sécurité d'une manifestation. Il ne s'agit "en aucun cas" d'interdire "qui que ce soit de participer à la manifestation" ou de mettre en place un périmètre fermé, avec des gardes autour, a-t-il assuré.
La nouvelle version adoptée par les députés autorise des officiers de police judiciaire à fouiller les bagages et les voitures sur les lieux d'une manifestation et à ses abords immédiats, sur réquisition du procureur.
Le gouvernement a en revanche renoncé à faire figurer dans le texte les palpations de sécurité et à y prévoir explicitement d'interdire "le port et le transport sans motif légitime d'objets pouvant constituer une arme". Il juge suffisante la législation existante sur ces points.
* INTERDICTION ADMINISTRATIVE DE MANIFESTER
Inspiré notamment de mesures "anti-hooligans", cet article autorise les préfets à interdire de manifestation "par arrêté motivé" toute personne "à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public".
Cette notification peut être effectuée y compris au moment même de la manifestation si celle-ci n'a pas été déclarée et la personne "interdite" peut être contrainte de pointer.
Une personne visée peut aussi être interdite de manifester sur tout le territoire pour un mois maximum.
Selon Christophe Castaner, cela vise 50 à 100 "individus bien connus, qui appartiennent à des groupuscules extrémistes, qui viennent systématiquement pour casser".
Toute personne interdite de manifester pourra recourir au juge administratif pour demander l'annulation de cette mesure, dont la notification interviendra au moins 48 heures avant la manifestation pour permettre ce recours.
* FICHER LES PERSONNES INTERDITES DE MANIFESTER
L'idée de créer un nouveau fichier des interdits de manifester est abandonnée et remplacée par une inscription au fichier des personnes recherchées (FPR).
"Il n'est pas question de ficher les manifestants", a assuré Christophe Castaner. "Il s'agit de recenser au sein du FPR les personnes très violentes et les personnes interdites de manifester, le temps de l'interdiction de manifester."
* DISSIMULER SON VISAGE POUR MANIFESTER DEVIENT UN DÉLIT
Ce nouveau délit de dissimulation volontaire (totalement ou partiellement) est assorti d'une peine d'un an d'emprisonnement et 15.000 euros d'amende. La droite juge cette mesure "inapplicable", La France insoumise la qualifie "d'arbitraire".
* LE PRINCIPE DU "CASSEUR-PAYEUR"
En matière de responsabilité civile, le texte prévoit également la possibilité pour l'État d'engager une action contre les auteurs de dommages pendant une manifestation.
"Celui qui dégrade, qui casse, qui vandalise doit être tenu responsable de ses actes", a dit Christophe Castaner.
(Elizabeth Pineau, édité par Yves Clarisse)