PARIS (Reuters) - Manuel Valls a émis à plusieurs reprises depuis deux semaines le souhait de réformer l'indemnisation du chômage en France, comme s'il voulait tester l'opinion sur un sujet hautement sensible.
Accusé de dérive libérale par les frondeurs socialistes, le Premier ministre a entamé depuis la rentrée une tournée européenne, de Rome à Londres en passant par Berlin, pour convaincre ses partenaires européens et Bruxelles que la France avait choisi la voie des réformes structurelles.
En Allemagne, pays où l'indemnisation du chômage a été rabotée depuis le début des années 2000 pour inciter au retour au travail, il s'est interrogé sur les choix économiques et sociaux faits par la France ces dernières décennies.
"La France a une préférence pour le chômage de masse bien indemnisé, c'est un fait", a-t-il dit en privé dans la capitale allemande. Quelques jours plus tard, il estimait qu'il y aurait "des choses à revoir dans le système français".
"C'est (...) parce que nous acceptons malheureusement un chômage trop élevé, même s'il est bien indemnisé, que nous avons perdu du temps", a-t-il déploré devant son homologue finlandais la semaine dernière, avant de revenir sur le sujet lundi lors de sa visite à la City de Londres.
Le Premier ministre, qui n'a de cesse de proclamer son amour de l'entreprise, en paraît presque avoir fait sienne une des propositions du Medef.
Dans son plan "un million d'emplois", l'organisation patronale propose de "poursuivre la réforme de l'assurance chômage pour accélérer le retour à l'emploi des chômeurs" et d'ouvrir pour ce faire de nouvelles négociations "sans attendre l'échéance de la convention actuelle".
Mardi soir, les services du Premier ministre restaient muets sur ce ballon d'essai qui laisse perplexe les syndicats et semble embarrasser les ministères chargés du dossier.
ÉLYSÉE PRUDENT, MATIGNON MUET
"On a une convention qui vient juste d'entrer en vigueur, avec les droits rechargeables. Elle a été agréée jusqu'en 2016. Donc à la mi-2016 il y aura renégociation comme il se doit", explique-t-on au ministère du Travail.
Dans l'entourage de François Hollande, on assure que le Premier ministre n'est pas en service commandé.
"Est-ce que cela est commandité par l'Elysée? La réponse est non", dit ainsi un proche du chef de l'Etat, qui dit tout ignorer de l'initiative de Manuel Valls.
Tel député socialiste frondeur voit dans les signaux distillés par le Premier ministre une tentative de polariser son affrontement avec les rebelles de sa majorité.
Des ministres assurent n'avoir pas entendu parler des préparatifs d'une grande réforme.
"J'ai beaucoup de dossiers sur la table, mais pas celui-là", tranche l'un d'eux, pour qui ce débat "mettrait le feu à tous les partenaires sociaux" qui gèrent l'assurance chômage.
Du côté syndical, on s'en tient au calendrier déjà bien balisé des négociations entre les partenaires sociaux.
RELATIVE PRUDENCE
"Moi aussi je suis intriguée. Il n'a jamais été question de ça, ni avec les pouvoirs publics ni avec le patronat et en plus ce n'est pas dans le champ de compétence du gouvernement", a ainsi dit à Reuters Véronique Descacq, numéro 2 de la CFDT.
"Dans les discussions qu'on a eues avec le Premier ministre et le ministre du Travail, jamais ils ne nous ont dit qu'il fallait renégocier la convention d'assurance chômage avant la date initialement prévue", dit-elle.
A l'Unedic, organisme paritaire de gestion de l'assurance chômage, on rappelle que la renégociation de la convention n'est prévue qu'en 2016 et que c'est alors que de nouvelles règles pourront être discutées.
La convention conclue en mars et tout juste entrée en vigueur prévoit seulement des réunions régulières, d'ici là, d'un "groupe paritaire politique" chargé notamment d'étudier la modulation des conditions d'indemnisation, les modalités de calcul des allocations, la simplification de la règlementation, etc. Le moment venu, il soumettra aux négociateurs les conclusions de ses travaux.
"A notre connaissance, il n'y a aucune raison d'accélérer le calendrier, en tout cas pas du fait des partenaires sociaux", dit-on de source proche de la direction de l'Unedic.
L'annonce à brève échéance d'un "big bang" paraît donc peu vraisemblable. Des sources proches de l'exécutif estiment que les propos de Manuel Valls visent surtout à rappeler à l'opinion publique que le redressement des comptes de l'assurance chômage est impératif pour réduire les déficits publics.
Les propos de Manuel Valls restent assez prudents pour permettre à ces idées de faire leur chemin dans les esprits sans prendre le risque de braquer, estime-t-on de même source.
(Julien Ponthus, Emmanuel Jarry, Jean-Baptiste Vey et Elizabeth Pineau édité par Yves Clarisse)