PARIS (Reuters) - Emmanuel Macron et Marine Le Pen se sont affrontés jeudi soir dans un débat rugueux et désordonné où le favori des sondages s'est efforcé, face aux invectives répétées de son adversaire, de débusquer l'"irréalisme" et le "vide" du programme du FN.
A quatre jours du second tour de l'élection présidentielle, les deux finalistes avaient abordé cette joute télévisée, qui s'est souvent apparentée à un combat, avec l'objectif de confronter "deux visions" de la France pour consolider leur socle électoral mais aussi convaincre des indécis encore nombreux face à un front républicain bancal.
Ces deux visions ont été singulièrement brouillées par le pêle-mêle d'arguments tronqués, d'attaques, d'insinuations qui a prédominé dans un débat quasiment en "roue libre", difficilement maîtrisé par deux journalistes quasi muets.
Adoptant un ton tantôt dédaigneux, tantôt agressif, tantôt guoguenard, la candidate du Front national, donnée perdante dans les sondages, a opté d'emblée pour une stratégie de pilonnage, présentant le chef de file d'En Marche! comme le "candidat de la mondialisation sauvage" et le renvoyant à son passé de banquier, de ministre et de conseiller de François Hollande.
Le candidat "de l'ubérisation, de la précarité, de la brutalité sociale, de la guerre de tous contre tous, du saccage économique", a-t-elle poursuivi en préambule. Elle s'est posée en contrepoint comme "la candidate du peuple", "la candidate de la France telle que nous l'aimons, de sa culture, de sa civilisation, de son unité".
Emmanuel Macron, qui s'est attaché non sans difficulté à conserver un ton posé et didactique, l'a dépeinte en retour comme la candidate de "l'esprit de défaite", porteuse d'un "projet mortifère", l'accusant de manier "bêtises" et "mensonges" et de nourrir "la peur": "La grande prêtresse de la peur, elle est en face de moi".
"Je prends les Françaises et les Français pour des adultes, je ne leur mens pas", lui a-t-il lancé. "Restez à la télévision, moi je veux présider ce pays".
"LE PAYS VOUS IMPORTE PEU"
Le ton s'est singulièrement tendu au terme du débat lorsque l'ex-présidente du FN a émis des doutes sur la déclaration de patrimoine de son adversaire : "J'espère qu'on n'apprendra pas que vous avez un compte offshore aux Bahamas".
"Vous, vous avez des affaires, moi je n’en ai pas Mme Le Pen", a répliqué Emmanuel Macron, évoquant l'enquête sur les assistants parlementaires du FN au Parlement européen.
"Vous salissez les uns et les autres, notre pays n'a pas besoin de ça!", a-t-il lancé. "Le pays vous importe peu, vous n'avez pas de projet", a conclu le candidat d'En Marche!. "Avec votre élection, ce serait une sortie de l'Histoire."C'est au chapitre économique qu'Emmanuel Macron, qui a avancé non sans mal ses arguments, a marqué des points, particulièrement sur le rétablissement d'une monnaie nationale en parallèle de l'euro, projet du FN aux contours flous et amendé dans l'entre-deux-tours sur lequel la candidate a esquivé les explications.
"Votre bidouillage n’a aucun sens" et "manifeste une impréparation crasse", a-t-il dit.
Marine Le Pen, qui accuse un retard de vingt points sur Emmanuel Macron, a maintenu son registre offensif, parfois au détriment de la clarté, entravant les tentatives d'explication et de réplique d'Emmanuel Macron.
"Jouer à l'élève et au professeur, ce n'est pas mon truc", a-t-elle ainsi dit à Emmanuel Macron, dans une allusion à son épouse, qui fut son professeur de français. "Vous avez démontré que vous n'êtes pas la candidate de l'esprit de finesse", lui avait-il dit au début du débat.
"STRATÉGIE MARKETING"
"Hollande junior", "Monsieur le ministre de l'Economie", "Monsieur l'ex-conseiller" : les références ont été incessantes pour saper la volonté d'Emmanuel Macron d'incarner le renouveau. "Vous êtes l'héritier de François Hollande qui vous soutient deux fois par jour", a-t-elle raillé.
Le candidat d'En Marche!, tout en s'en défendant, a été contraint de lui répliquer dans la même veine, la dépeignant comme "l'héritière d'un système, d'un parti, d'un nom".
Dans cet entre-deux-tours où Emmanuel Macron a usé de l'arme symbolique et historique pour mettre en garde contre le risque de l'accession du FN à la présidence de la République, Marine Le Pen a estimé que son adversaire avait "tombé le masque".
"La stratégie marketing a été reprise en main par la machine du Parti socialiste", a-t-elle dit.
En riposte, Emmanuel Macron n'a eu de cesse de dénoncer sa "logorrhée", par exemple sur les dossiers industriels (SFR (PA:SFRGR) et Alstom (PA:ALSO)). "Ça marche pas comme ça dans la vraie vie", lui a-t-il rétorqué lors d'un échange sur leurs programmes économiques et sociaux respectifs.
"Vous faites une liste à la Prévert que vous ne financez pas", a-t-il insisté à propos de la volonté du FN de s'affranchir de l'UE et de baisser les impôts. Sur la réforme des retraites - Marine Le Pen entend ramener l'âge de départ légal à 60 ans -, Emmanuel Macron a aussi mis en garde les électeurs contre la fiction de la "finance magique".
"Je suis la candidate du pouvoir d’achat, M. Macron, vous êtes le candidat du pouvoir d’acheter la France", a répliqué Marine Le Pen.
Sur la lutte contre le terrorisme aussi, Emmanuel Macron a estimé que Marine Le Pen proposait de "la poudre de Perlimpinpin" face à la menace de l'Etat islamique. Il a rappelé que la députée européenne avait voté contre les textes communautaires relatifs à la lutte contre le terrorisme.
Marine Le Pen a accusé son adversaire de "complaisance pour le fondamentalisme islamique".
Selon un sondage Elabe pour BFM TV, 63% des Français ont jugé Emmanuel Macron plus convaincant que Marine le Pen (37%).
(Sophie Louet avec Service France, édité par Yves Clarisse)