par Jan Strupczewski
BRUXELLES (Reuters) - La France, l'Allemagne et la Commission européenne sont persuadées que le fait de ne pas avoir sanctionné l'incapacité de Paris à tenir ses objectifs de réduction du déficit public est un bon compromis qui soutient l'euro.
Mais il n'est guère difficile de trouver des responsables européens pour qui cette décision signale aux gouvernements et aux investisseurs que les règles censées assurer la cohésion de la zone euro sont désormais lettre morte. Au risque, craignent-ils, d'affaiblir la défense la monnaie unique en cas de future crise.
"Les règles sont à peine compréhensibles, et leur mise en oeuvre tient du bazar politique", a déclaré la semaine dernière le président de la Bundesbank, Jens Weidmann.
A Bruxelles cette semaine, la chancelière allemande Angela Merkel et le président de la Commission Jean-Claude Juncker ont tenu le même discours apaisant: le budget français est "sur la bonne voie", a assuré Merkel.
Mais au sein du gouvernement allemand, on reconnaît que la décision est politique. Embarrasser le président François Hollande ne ferait qu'attiser ses adversaires hostiles à l'euro, à commencer par le Front national.
A la Commission, des responsables évoquent en privé les désaccords au sommet qui ont précédé la décision, annoncée le 25 février, d'accorder à la France deux ans de plus, soit jusqu'en 2017, pour ramener son déficit sous la limite de 3% du PIB.
Un haut fonctionnaire européen rappelle qu'en janvier, une note de la Commission expliquant jusqu'à quel point les critères du Pacte de stabilité et de croissance peuvent être assouplies en cas de récession a affaibli les règles censées harmoniser les politiques économiques des pays membres de la zone euro.
"OUBLIEZ LE PACTE DE STABILITÉ"
"Avec cette décision de ne pas punir la France pour non-respect de ses objectifs, la Commission a désormais supprimé aussi les mesures disciplinaires", regrette-t-il, alors que Paris risquait une amende très lourde, jusqu'à quatre milliards d'euros en théorie.
Christoph Weil, économiste à la Commerzbank, résume à sa manière: "Oubliez le Pacte de stabilité et de croissance. Il est mort."
La France, avec l'Italie de Matteo Renzi, plaide pour que l'Europe prête une attention accrue à la croissance. De nombreux économistes estiment que le moment est idéal pour emprunter afin d'investir, soutenir la croissance et les recettes fiscales qui permettront de réduire l'endettement.
Mais l'opinion majoritaire à Bruxelles reste que la France n'a pas entrepris de réformes suffisantes, ce qu'avait accompli l'Allemagne au début des années 2000.
Le responsable européen affirme que l'Italie et la Belgique, qui sont aussi dans le collimateur de la Commission, ont présenté des projets de réformes impressionnants à la Commission. "La France n'avait rien fait", dit-il.
Michel Sapin, le ministre français des Finances, a dit jeudi comprendre "l'énervement" de certains responsables européens envers la France tout en soulignant que le pays représente 20% du PIB de la zone euro, ce qui pèse inévitablement dans la balance.
"C'est vrai chez nous comme ce serait vrai en Allemagne et d'un certain point de vue en Italie ou en Espagne. Dans ces quatre pays-là, c'est quand même le coeur économique de la zone euro (...), il vaut mieux y faire un petit peu attention."
"NE PAS FRAPPER UN HOMME À TERRE"
Ce traitement de faveur est dur à avaler pour les petits pays au moment où la zone euro, et en particulier l'Allemagne, est sur une ligne autrement plus dure, dans un contexte différent, avec la Grèce.
Pour ne pas punir la France, la Commission était censée constater que Paris avait bel et bien pris des mesures efficaces pour réduire son déficit en 2013 et 2014. Mais sa décision est bien plus prudente puisqu'elle explique simplement que "les éléments disponibles ne permettent pas de conclure à l'absence d'action efficace".
Le déficit budgétaire de la France a représenté 4,1% du produit intérieur brut (PIB) en 2013, un peu moins de 4,4% en 2014 et il est prévu à 4,1% cette année par le gouvernement. La Commission a recommandé vendredi un déficit à 4,0% en 2015, 3,4% fin 2016 et 2,8% fin 2017.
En dépit d'un front uni en public, la décision n'a pas été bien accueillie par tous mercredi dernier lors de la réunion des commissaires des 28 Etats membres. Certains ont plaidé contre toute clémence, disent des sources européennes.
Mais Pierre Moscovici, commissaire aux Affaires économiques et ancien ministre de François Hollande, a souhaité qu'il n&apos
par Jan Strupczewski
BRUXELLES (Reuters) - La France, l'Allemagne et la Commission européenne sont persuadées que le fait de ne pas avoir sanctionné l'incapacité de Paris à tenir ses objectifs de réduction du déficit public est un bon compromis qui soutient l'euro.
Mais il n'est guère difficile de trouver des responsables européens pour qui cette décision signale aux gouvernements et aux investisseurs que les règles censées assurer la cohésion de la zone euro sont désormais lettre morte. Au risque, craignent-ils, d'affaiblir la défense la monnaie unique en cas de future crise.
"Les règles sont à peine compréhensibles, et leur mise en oeuvre tient du bazar politique", a déclaré la semaine dernière le président de la Bundesbank, Jens Weidmann.
A Bruxelles cette semaine, la chancelière allemande Angela Merkel et le président de la Commission Jean-Claude Juncker ont tenu le même discours apaisant: le budget français est "sur la bonne voie", a assuré Merkel.
Mais au sein du gouvernement allemand, on reconnaît que la décision est politique. Embarrasser le président François Hollande ne ferait qu'attiser ses adversaires hostiles à l'euro, à commencer par le Front national.
A la Commission, des responsables évoquent en privé les désaccords au sommet qui ont précédé la décision, annoncée le 25 février, d'accorder à la France deux ans de plus, soit jusqu'en 2017, pour ramener son déficit sous la limite de 3% du PIB.
Un haut fonctionnaire européen rappelle qu'en janvier, une note de la Commission expliquant jusqu'à quel point les critères du Pacte de stabilité et de croissance peuvent être assouplies en cas de récession a affaibli les règles censées harmoniser les politiques économiques des pays membres de la zone euro.
"OUBLIEZ LE PACTE DE STABILITÉ"
"Avec cette décision de ne pas punir la France pour non-respect de ses objectifs, la Commission a désormais supprimé aussi les mesures disciplinaires", regrette-t-il, alors que Paris risquait une amende très lourde, jusqu'à quatre milliards d'euros en théorie.
Christoph Weil, économiste à la Commerzbank, résume à sa manière: "Oubliez le Pacte de stabilité et de croissance. Il est mort."
La France, avec l'Italie de Matteo Renzi, plaide pour que l'Europe prête une attention accrue à la croissance. De nombreux économistes estiment que le moment est idéal pour emprunter afin d'investir, soutenir la croissance et les recettes fiscales qui permettront de réduire l'endettement.
Mais l'opinion majoritaire à Bruxelles reste que la France n'a pas entrepris de réformes suffisantes, ce qu'avait accompli l'Allemagne au début des années 2000.
Le responsable européen affirme que l'Italie et la Belgique, qui sont aussi dans le collimateur de la Commission, ont présenté des projets de réformes impressionnants à la Commission. "La France n'avait rien fait", dit-il.
Michel Sapin, le ministre français des Finances, a dit jeudi comprendre "l'énervement" de certains responsables européens envers la France tout en soulignant que le pays représente 20% du PIB de la zone euro, ce qui pèse inévitablement dans la balance.
"C'est vrai chez nous comme ce serait vrai en Allemagne et d'un certain point de vue en Italie ou en Espagne. Dans ces quatre pays-là, c'est quand même le coeur économique de la zone euro (...), il vaut mieux y faire un petit peu attention."
"NE PAS FRAPPER UN HOMME À TERRE"
Ce traitement de faveur est dur à avaler pour les petits pays au moment où la zone euro, et en particulier l'Allemagne, est sur une ligne autrement plus dure, dans un contexte différent, avec la Grèce.
Pour ne pas punir la France, la Commission était censée constater que Paris avait bel et bien pris des mesures efficaces pour réduire son déficit en 2013 et 2014. Mais sa décision est bien plus prudente puisqu'elle explique simplement que "les éléments disponibles ne permettent pas de conclure à l'absence d'action efficace".
Le déficit budgétaire de la France a représenté 4,1% du produit intérieur brut (PIB) en 2013, un peu moins de 4,4% en 2014 et il est prévu à 4,1% cette année par le gouvernement. La Commission a recommandé vendredi un déficit à 4,0% en 2015, 3,4% fin 2016 et 2,8% fin 2017.
En dépit d'un front uni en public, la décision n'a pas été bien accueillie par tous mercredi dernier lors de la réunion des commissaires des 28 Etats membres. Certains ont plaidé contre toute clémence, disent des sources européennes.
Mais Pierre Moscovici, commissaire aux Affaires économiques et ancien ministre de François Hollande, a souhaité qu'il n'y ait pas d'amende, et il a obtenu le soutien de Jean-Claude Juncker pour qu'un nouveau délai soit accordé à Paris, en gardant la possibilité de sanctions par la suite.
Un tel compromis n'aurait pas été possible sans que l'Allemagne ne donne son consentement, déclarent des responsables européens en notant la faible popularité de François Hollande et le défi politique croissant que représente le Front national en France.
"Leur principe majeur est: 'ne frappez pas un homme à terre'. Et Hollande est encore à terre. L'ombre de Le Pen n'a pas disparu", déclare un haut responsable européen.
La zone euro avait déjà autorisé la France et l'Allemagne à dépasser les règles communes, ce qui avait déjà irrité des pays plus petits. Et ces règles ont été renforcées depuis, après la crise de la dette.
"La première fois que les règles sont vraiment mises à l'épreuve, l'Europe retombe dans ses vieilles habitudes et abandonne toute sanction", constate Teunis Brosens, économiste à ING (AMS:ING) Bank. "Cela n'incite pas vraiment les gouvernements à se montrer prudents à l'avenir. Je doute que la prochaine crise soit provoquée par l'expérience d'aujourd'hui, mais elle la compliquera."
(avec Robin Emmott à Bruxelles et Jean-Baptiste Vey à Paris; Jean-Stéphane Brosse pour le service français, édité par Marc Angrand)