par Emmanuel Jarry
PARIS (Reuters) - Le tribunal correctionnel de Paris s'efforcera à partir de mercredi d'établir si Jawad Bendaoud, logeur de deux auteurs des attentats du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis, a agi "pour rendre service", par appât du gain, ou joué un rôle plus trouble comme le soupçonnent des parties civiles.
Il s'agira du premier procès lié à ces attaques revendiquées par l'organisation de l'Etat islamique, qui ont fait 130 morts et plus de 400 blessés, en attendant celui du dernier survivant présumé des commandos, Salah Abdeslam, détenu en France.
Le 18 novembre 2015, au moment où les policiers du Raid assiègent l'immeuble de la rue du Corbillon, à Saint-Denis, où sont retranchés Abdelhamid Abaaoud, organisateur présumé des attentats, et Chakib Akrouh, ce délinquant multirécidiviste se pavane à proximité devant des caméras de télévision.
"J'ai appris que les individus sont retranchés chez moi. Je n'étais pas au courant que c'étaient des terroristes", raconte cet homme alors âgé de 29 ans, lunettes, barbiche et blouson de cuir. "On m'a dit d'héberger deux personnes pendant trois jours et j'ai rendu service (...) Je ne les connais pas du tout."
Un policier l'interpelle sur le champ. L'instruction retiendra contre lui le recel de terroriste, qui pourrait lui valoir une peine maximale de six ans d'emprisonnement, compte tenu de son lourd passé judiciaire.
Il a été condamné en novembre 2008 à huit ans de prison pour le meurtre d'un jeune lors d'une bagarre à propos d'un vol de téléphone portable et plusieurs autres fois pour faux, violences avec arme, détention de stupéfiants et transport d'armes.
Me Georges Holleaux, qui représente une cinquantaine de parties civiles et l'association de victimes des attentats du 13 novembre, "Life for Paris", conteste l'incrimination retenue.
Il entend demander, avec le soutien d'autres parties civiles, une requalification en recel de terroriste aggravé, constitutif d'un acte de terrorisme, tant pour Jawad Bendaoud que pour un de ses deux co-prévenus, Mohamed Soumah.
PLUSIEURS CENTAINES DE PARTIES CIVILES
"Nous considérons qu'ils avaient conscience qu'ils aidaient un réseau terroriste", a-t-il expliqué à Reuters.
Mohamed Soumah, 25 ans lors des faits, condamné 15 fois pour divers délits dont vol avec arme, a servi d'intermédiaire entre une cousine d'Abaaoud, Hasna Ait-Boulahcen, morte dans l'assaut de Saint-Denis après l'assaut du Raid, et Jawad Bendaoud.
Le troisième prévenu, Youssef Ait-Boulahcen, 23 ans lors des faits, frère de Hasna, est jugé pour non-dénonciation d'un acte de terrorisme.
Le procès se déroulera jusqu'au 14 février à la 16e chambre correctionnelle, dévolue aux délits liés au terrorisme passibles de peines ne pouvant aller au-delà de dix ans de prison.
La salle s'annonce trop petite pour accueillir la forte affluence de la presse et des parties civiles attendue à ce qui est le premier rendez-vous judiciaire pour les attentats du 13 novembre, même si ne sont jugés a priori que des comparses.
Selon une source judiciaire, 300 à 350 personnes et associations souhaitent se porter parties civiles.
"C'est la première porte ouverte sur cette affaire. Jusque-là, tout ce qui ressort de l'enquête est couvert par le secret de l'instruction", souligne Me Claire Josserand-Schmidt.
"C'est un procès qui va poser problème avec le nombre de parties civiles. Il y a une telle attente des victimes !" prédit cette avocate de victimes et familles de victimes, qui dit aussi redouter une "surexposition médiatique".
"ÉLÉMENTS TROUBLANTS"
Elle estime cependant qu'il ne faut pas "trop attendre" de ce procès, "parce que ce n'est pas le procès des attentats".
Me Georges Holleaux déplore pour sa part que ce volet ait été disjoint du dossier principal.
"Il aurait mieux valu qu'on juge tout le monde en même temps. Cela va amputer le procès de la cour d'assises", dit-il.
"Concernant Bendaoud et Ait-Boulahcen, des éléments extrêmement troublants nous font considérer qu'on ne pouvait pas exclure que leur rôle ait été beaucoup plus important que ce que laisse supposer cette disjonction", ajoute-t-il.
Parmi ces "éléments troublants", il cite l'ADN de Jawad Bendaoud mélangé à celui d'Akrouh et d'Abaaoud sur des morceaux d'adhésif susceptibles d'avoir servi à confectionner la ceinture d'explosifs portée et déclenchée par le premier.
Jawad Bendaoud nie avoir aidé ces deux hommes à avoir confectionné la ceinture. Selon lui, ils ont utilisé du scotch présent dans l'appartement, dont il avait pris possession après en avoir chassé des squatters.
Mais pour Me Holleaux, c'est un "simulateur" : "Pourquoi s'est-il précipité devant les caméras de télévision ?" demande-t-il. "Il y avait une raison (...) Il y a quelque chose de très troublant dans cette façon de se précipiter devant les caméras."
Concernant Youssef Ait-Boulahcen, des photographies d'Abaaoud et de la documentation djihadiste ont été trouvées dans des téléphones portables et un ordinateur saisis lors d'une perquisition au domicile de sa famille.
(Edité par Yves Clarisse)