par Emmanuel Jarry
PARIS (Reuters) - Abdelkader Merah a admis pour la première fois vendredi que son frère Mohamed, tueur de militaires et d'enfants juifs, était un "musulman terroriste" mais a joué de toutes les ambiguïtés pour s'exonérer de toute responsabilité dans cette dérive sanglante.
Mohamed Merah a été abattu le 22 mars 2012 à Toulouse lors d'un assaut des forces de l'ordre contre son appartement après avoir tué trois soldats, trois écoliers juifs et le père de deux d'entre eux à Montauban et Toulouse. Des meurtres revendiqués par un groupe affilié à la nébuleuse islamiste Al Qaïda.
Son ombre plane depuis le 2 octobre sur la cour d'assises spéciale qui s'efforce d'établir le rôle d'Abdelkader Merah, lequel nie toute participation matérielle ou idéologique dans cette équipée meurtrière, qui a changé la perception en France de la menace terroriste islamiste.
"Mon frère est un musulman terroriste", a fini par admettre du bout des lèvres Abdelkader Merah, lunettes sur le nez et longs cheveux réunis en catogan, pressé de questions par un avocat des parties civiles.
"Les actes sont graves mais ça reste mon petit frère. (...) Si j'ai un enfant je l'appellerai Mohamed en souvenir de mon petit frère", avait-il dit auparavant. "En tant que musulman, je souhaite que mon petit frère soit au paradis."
La cour s'efforce notamment d'établir s'il a été le mentor de son cadet et s'est rendu coupable d'association de malfaiteurs terroriste criminelle en lui apportant conseils, documentation et soutien matériel. Ce qu'il nie catégoriquement.
"Je ne me considère pas comme un musulman radical salafiste, je me considère comme un musulman orthodoxe", a déclaré à la cour cet ancien délinquant et caïd de quartier réputé pour sa violence jusqu'à sa "conversion" à un islam rigoriste en 2006.
Une "conversion" dans laquelle son cadet le suivra mais, selon lui, pas aussi sérieusement - "Il avait un comportement qui n'était pas compatible avec un musulman pieux."
Tous deux gravitent alors autour d'un groupe salafiste implanté à Artigat, en Ariège, dirigé par l'"émir blanc" Olivier Corel, par où sont aussi passés les djihadistes Sabri Essid et les frères Clain avant de rejoindre l'Etat islamique en Syrie.
Abdelkader présentera le père de Sabri Essid à sa mère, deux fois divorcée, afin qu'elle se remarie en 2011 religieusement - mariage qui ne durera pas.
"LE DJIHAD EXISTE"
Et c'est un frère Clain qui l'aidera à trouver un logement au Caire, où il fera quatre séjours pour, a-t-il expliqué aux enquêteurs et à la barre, apprendre l'arabe littéraire et approfondir sa connaissance du Coran.
L'ancien caïd de quartier, qui avait gagné le surnom de "Ben Laden" en manifestant son enthousiasme pour les attentats du 11 septembre 2001 à New York et avait toute une documentation sur le fondateur d'Al Qaïda, assure aujourd'hui ne pas adhérer à son idéologie et n'avoir fait allégeance à personne.
"Si je partageais cette idéologie, j'irais moi-même" faire le djihad, a-t-il dit. "Dans ma perception de l'islam, je n'appelle aucunement à des actions violentes."
Quant aux nombreux textes sur le djihad que les enquêteurs ont retrouvés dans sa bibliothèque, dans des disques durs et sur des clefs USB, il dit ne les avoir acquis ou téléchargés que dans une seule intention documentaire.
Il n'en déclare pas moins qu'"aucun musulman ne peut nier que le djihad existe" et que certaines interprétations de cette notion peuvent amener "à tuer des innocents".
"Moi (je le fais) avec mon coeur", ajoute-t-il. "Le djihad, c'est dans un contexte bien précis, le djihad c'est quelque chose de noble". Mais Mohamed, ajoute-t-il, "a fait un copié-collé, il n'est pas entré dans l'exégèse des textes".
Il admet cependant avoir lui-même regardé des vidéos de décapitation - "Ça traînait dans le quartier."
Il assure ne pas vivre en marge de la société française : "Je suis né en France et l'islam ne nous apprend pas à renier nos origines, je suis musulman français."
Mais il dit considérer la démocratie comme une religion, l'Etat français comme un Etat "chrétien, démocratique et religieux" et ne pas reconnaître les lois "forgées par l'homme".
"Je reconnais uniquement les lois forgées par mon créateur, Allah", insiste Abdelkader Merah, selon qui tout "musulman sincère" ne peut que souhaiter vivre sous les "lois d'un califat bien dirigé, sous les lois d'Allah".
"J'applique l'Etat musulman dans mon coeur", a-t-il expliqué avant de lancer plus tard au président de la cour : "Votre référence, c'est le Code pénal, la mienne c'est le Coran."
(Edité par Sophie Louet)