par Elizabeth Pineau
PARIS (Reuters) - Dix jours après l'adoption en force de la loi sur la croissance suivie du rejet d'une motion de censure contre le gouvernement, le Parti socialiste peine à trouver un minimum de cohésion sur fond de vives tensions entre les "frondeurs" et Manuel Valls.
A trois semaines des élections départementales et à trois mois du congrès du PS de Poitiers, les tensions qui se sont cristallisées sur la loi défendue par le ministre de l'Economie Emmanuel Macron persistent, dans un contexte de redémarrage économique que l'exécutif entend consolider.
Après un passage au Sénat en avril, la loi sur la croissance et l'activité, qui prévoit notamment d'augmenter le nombre de dimanches travaillés, doit revenir en deuxième lecture à l'Assemblée nationale avant un vote définitif possible en juin.
Comme le prévoit la Constitution, le gouvernement pourra à nouveau utiliser la procédure du 49-3 -- adoption en force sans vote - lors de la nouvelle lecture du texte.
Si certains pensent que le gouvernement pourrait en profiter pour faire passer des dispositions nouvelles - "Quitte à utiliser le 49-3, pourquoi ne pas charger la valise et ne pas faire le voyage pour rien ?", s'interroge un ministre - d'autres espèrent au contraire une inflexion.
Jean-Marc Germain, député "frondeur", prône ainsi un renoncement à l'augmentation du nombre de dimanches travaillés.
"On a eu une discussion au PS où tout le monde a été d'accord pour dire que les propositions du parti n'avaient pas été suffisamment étudiées et devaient être entendues", a-t-il dit à Reuters en référence au Bureau national du PS de mardi.
Dans sa résolution, le BN rappelle les "frondeurs" à l'ordre sans les sanctionner et reconnaît un déficit de discussions entre socialistes en amont sur la loi Macron.
En gros, "les frondeurs ont tort parce qu'ils ont raison", résume dans un sourire un membre du gouvernement à propos d'une résolution à ses yeux "surréaliste."
HACHE DE GUERRE
"Il n'y aura plus de vote contre" au Parlement, espère le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, même si rien ne peut le garantir formellement.
Pour le patron du PS, sanctionner n'aurait servi à rien.
"Manuel Valls a une obligation de résultat et moi j'ai une obligation de cohésion", s'est-il défendu jeudi sur RTL.
S'il ne prédit pas "la fin pas frondeurs, car il y a des divergences", il pense que "tout le monde a pris en compte les circonstances", à l'heure où "le Front national frappe à la porte."
Jean-Marc Germain propose, lui, de mettre tout le monde "autour d'une table" pour élaborer un "nouveau contrat de la majorité". "On couche ça sur le papier avec des écologistes, des radicaux de gauche, des MRC, avec tout le Parti socialiste et je vous assure que ça ira beaucoup mieux", dit-il.
Pour l'heure, la hache de guerre est loin d'être enterrée entre le gouvernement et l'aile gauche du PS, comme en témoignent les propos du ministre de l'Economie sur les "fainéants" du PS -- comprendre les frondeurs.
Emmanuel Macron, qui n'entend pas modifier son texte, s'en prend aussi à Jean-Christophe Cambadélis qui avait pris ses distances sur la question du travail du dimanche. "Sur cette position initiale du parti s'est greffé un foyer infectieux qui ne s'est pas éteint", accuse-t-il.
Manuel Valls a lui aussi usé du registre autoritaire à propos de la future loi sur la modernisation du dialogue social qui allège les obligations des entreprises.
Si le vote de ce texte a lieu, comme cela est probable, lors de la session parlementaire exceptionnelle de juillet, l'usage de l'article 49-3 de la Constitution est possible.
"Vous connaissez ma détermination à faire adopter les textes qui sont utiles et indispensables pour le pays mais j'ai l'impression que tout le monde a désormais bien compris le message", a déclaré le Premier ministre mercredi à Matignon.
"LE PS EST FRAGILE", PRÉVIENT HAMON
De l'avis d'un ministre cependant, le chef du gouvernement n'a pas intérêt à passer en force, et devrait plutôt "se servir de cette loi pour montrer qu'il est moderne et social, tout faire pour que ça se passe bien, sans braquer les socialistes".
D'ici là, deux étapes majeures sont à enjamber pour le PS, à commencer par les élections départementales des 22 et 29 mars.
Alors que les prévisions les plus pessimistes prédisent à la gauche la perte des deux tiers des départements qu'elle dirige, Manuel Valls s'engage dans la bataille avec une dizaine de déplacements en région prévus ces trois prochaines semaines.
Le congrès du PS de juin est aussi dans toutes les têtes, au point d'avoir fait dire à certains, Emmanuel Macron en tête, que les frondeurs avaient combattu la loi sur la croissance uniquement pour préparer cette échéance.
Pour Benoît Hamon, qui tente de retrouver à la gauche du PS l'influence perdue lors de son passage au gouvernement de Manuel Valls, le danger d'implosion du PS est réel.
"Le PS est fragile et il ressemble beaucoup à la défunte SFIO (ancêtre du PS-NDLR) quand il veut concilier des pratiques à droite avec des discours à gauche", a-t-il dit à Mediapart.
L'issue du congrès dépendra de l'attitude de "frondeurs", qui sont lui d'être tous sur la même ligne, et de celle du camp de Martine Aubry, que certains soupçonnent de vouloir faire monter les enchères avant de rejoindre la motion majoritaire.
Ses partisans, comme Jean-Marc Germain, soulignent, eux, la volonté de la maire de Lille de "peser très concrètement, par ses idées, sur la fin du quinquennat."
(Avec Emmanuel Jarry et Emile Picy, édité par Yves Clarisse)