par Timothy Heritage et Katya Golubkova
MOSCOU (Reuters) - Des dizaines de milliers de Russes ont défilé dimanche à Moscou en brandissant des pancartes "Je n'ai pas peur" et aux cris de "la Russie sans Poutine !" en mémoire de Boris Nemtsov, virulent détracteur du président russe dont l'assassinat a ravivé les inquiétudes concernant le sort des adversaires du pouvoir.
Venus pour certains en famille, les manifestants ont défilé sous la pluie le long de la Moskova, passant tout près des murs du Kremlin et du pont sur lequel l'opposant a été abattu vendredi soir de quatre balles dans le dos par un tireur encore non identifié.
Vladimir Poutine a qualifié ce meurtre de "provocation" et promis de traquer les coupables.
Les enquêteurs ont avancé plusieurs hypothèses, dont celle d'islamistes, Boris Nemtsov étant de confession juive, ou celle d'un assassinat politique commis par l'opposition elle-même pour ternir l'image du Kremlin. Mais, pour les opposants, la responsabilité de Vladimir Poutine ne fait aucun doute.
"Si nous pouvons mettre fin à la campagne de haine dirigée contre l'opposition, alors nous aurons une chance de pouvoir changer la Russie. Si nous n'y parvenons pas, nous allons au devant d'un conflit civil de grande ampleur", a déclaré à Reuters Guénnadi Goudkov, l'un des chefs de file de l'opposition.
"Les autorités sont corrompues et ne tolèrent pas de voir émerger une quelconque menace pour leur pouvoir. Boris (Nemtsov) les dérangeait", a-t-il ajouté.
Selon la police, 21.000 personnes ont participé au défilé. La participation semblait toutefois inférieure aux 50.000 personnes espérées par les organisateurs.
Samedi, des milliers de Russes avaient déjà déposé des bouquets de fleurs et allumé des bougies sur le pont où Boris Nemtsov a été assassiné.
Plusieurs dizaines de personnes, pour la plupart d'origines russe et ukrainienne, se sont également rassemblées à New York, près la représentation permanente de la Russie aux Nations Unis.
"Je connais beaucoup de gens qui n'ont pas eu le courage de venir parce qu'ils craignent que la publication de leur photo ou de leur nom dans la presse ne créée des problèmes à leurs proches restés en Russie", a déclaré Dimitri Smelanski, venu de Boston pour manifester.
"POUTINE, DÉMISSION!"
Agé de 55 ans, Boris Nemtsov, vice-Premier ministre de Boris Eltsine à la fin des années 1990, a été l'une des figures de la contestation anti-Poutine de l'hiver 2011-2012 et avait fait de la dénonciation de l'implication de Moscou dans le conflit ukrainien son nouveau cheval de bataille.
"Il faisait du tort aux autorités mais les autorités sont elles-mêmes criminelles. Elles ont foulé aux pieds tous les droits internationaux, annexé la Crimée, entamé une guerre avec l'Ukraine", a déclaré Iouri Voïnov, un ingénieur à la retraite qui participait à la marche.
Certains manifestants portaient des banderoles clamant que "les héros ne meurent jamais", un slogan souvent entendu en Ukraine pour saluer la mémoire de la centaine de personnes tuées sur "Maïdan" pendant le soulèvement contre le président prorusse Viktor Ianoukovitch début 2014.
"Qu'un officier du KGB se proclame président à vie est une catastrophe géopolitique. Poutine, démission !", pouvait-on lire sur une pancarte brandie par une femme.
Les opposants accusent le Kremlin d'attiser le nationalisme, la haine et un sentiment anti-occidental pour que la population soutienne sa politique en Ukraine et ne le tienne pas coupable de la crise économique.
Signe que la propagande gouvernementale fonctionne, certains Moscovites se sont laissés convaincre par la thèse du complot évoquée par les autorités à propos de l'assassinat de Boris Nemtsov.
"Ce meurtre ne sert pas les intérêts des autorités. Tout le monde avait oublié depuis longtemps jusqu'à l'existence de cet homme, Nemtsov. C'est clairement une provocation", a déclaré un Moscovite ayant requis l'anonymat.
Boris Nemtsov, qui entendait participer la manifestation de dimanche pour remobiliser l'opposition, est le dissident le plus en vue assassiné depuis l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, il y a 15 ans.
"C'est un coup dur pour la Russie. Si les opinions politiques sont sanctionnées de cette manière alors ce pays n'a plus d'avenir", a commenté Sergueï Mitrokhine, un responsable de l'opposition.
(Benoît Van Overstraeten, Tangi Salaün et Jean-Philippe Lefief pour le service français) 2015-03-01T155134Z_1007200001_LYNXMPEB200Q1_RTROPTP_1_OFRWR-RUSSIE-NEMTSOV.JPG