par Kate Kelland
LONDRES (Reuters) - Des chercheurs estiment à 75% le risque de voir le virus de la fièvre Ebola atteindre la France d'ici vingt jours, à 50% pour la Grande-Bretagne, mais les systèmes de santé et les conditions de vie ne devraient pas exposer ces pays à des flambées épidémiques comparables à ce qui se passe en Afrique de l'Ouest.
Ces projections sont fondées sur les données connues de propagation du virus et sur l'hypothèse d'un trafic aérien inchangé. En modifiant cette variable, le risque décroît. Une réduction de 80% du trafic aérien vers les pays d'Afrique de l'Ouest frappés par la maladie réduirait ainsi le risque à 25% pour la France et 15% pour la Grande-Bretagne.
"C'est vraiment une loterie", souligne Derek Gatherer, spécialiste en virologie à l'université britannique de Lancaster.
"Si la situation continue en Afrique de l'Ouest et même s'aggrave, ainsi que certains le prédisent, ce ne sera qu'une question de temps avant qu'un malade se retrouve dans un avion à destination de l'Europe", ajoute-t-il.
Ces calculs de probabilité, publiées pour la première fois par le journal médical PLoS Current Outbreaks, sont régulièrement actualisés en ligne sur le site http://www.mobs-lab.org/ebola.html.
On y apprend que le risque pour la Belgique est aujourd'hui estimé à 40%; il est à 14% pour l'Espagne et la Suisse.
Depuis le mois de mars, l'épidémie de fièvre Ebola, la plus meurtrière depuis la découverte du virus, en 1976, a fait plus de 3.400 morts et infecté 7.200 personnes, dans trois pays essentiellement: le Liberia (2.069 morts selon les dernières données de l'OMS), la Guinée (739 morts) et la Sierra Leone (623 morts).
Mais des cas ont été signalés au Nigeria, au Sénégal de même qu'aux Etats-Unis, où un homme en provenance du Liberia a été diagnostiqué mardi et se trouve à présent dans un état critique.
INCUBATION LONGUE
Dans les projections de propagation du virus, la France et la Grande-Bretagne sont les plus concernées du fait de leurs liens commerciaux et culturels avec l'Afrique de l'Ouest.
Une infirmière française contaminée lors d'une mission de Médecins sans Frontières (MSF) au Liberia a été rapatriée et soignée avec succès à l'hôpital Bégin de Saint-Mandé, près de Paris. Premier cas de fièvre Ebola sur le territoire français, elle est guérie et a pu quitter l'hôpital samedi.
En Grande-Bretagne aussi, un patient britannique contaminé lors d'une mission humanitaire en Sierra Leone a été soigné après été hospitalisé dix jours dans un hôpital de Londres où il a bénéficié du traitement expérimental ZMapp.
L'Organisation mondiale de la Santé (OMS) n'a pas préconisé de restrictions sur le transport aérien et a même incité les compagnies aériennes à maintenir la desserte des pays les plus touchés. Les compagnies British Airways et Emirates ont cependant suspendu certaines liaisons.
Mais les risques changent chaque jour, souligne le Pr Alex Vespignani, du Laboratoire de modélisation des systèmes biologiques et socio-techniques de la Northeastern University de Boston, qui coordonne le calcul de ces probabilités de propagation du virus.
"Il ne s'agit pas d'une liste déterministe, mais bien de probabilités, des probabilités qui augmentent cependant pour tout le monde", explique-t-il dans une interview accordée par téléphone.
"Le vecteur, c'est le trafic aérien", poursuit-il. "Mais il faut également prendre en compte les différences dans les relations avec les pays affectés (Guinée, Liberia et Sierra Leone), de même que les nombres de cas dans ces trois pays. En fonction de cela, les calculs de probabilité changent."
Les patients contaminés par le virus sont les plus contagieux en phases terminales, quand les hémorragies internes ou externes, les diarrhées et les vomissements exposent leur entourage (le virus se contracte par contact avec les fluides corporels d'un malade).
Mais les modèles doivent aussi intégrer la durée d'incubation qui va jusqu'à 21 jours. Une personne infectée peut être porteuse du virus pendant trois semaines sans en ressentir les symptômes.
"LE VIRUS EBOLA N'EST PAS SEULEMENT UN PROBLÈME AFRICAIN"
Jonathan Ball, qui enseigne la virologie moléculaire à l'université de Nottingham, en Grande-Bretagne, explique par conséquent que même les tests mis en place dans les aéroports pour les passagers au départ des pays touchés par l'épidémie ne suffisent pas.
"Si le risque d'un virus importé reste limité, c'est un risque très réel dont on ne sera pas débarrassé tant que cette épidémie n'aura pas été stoppée", insiste-t-il. "Le virus Ebola n'est pas seulement un problème africain."
Les autorités sanitaires européennes jugent cependant que les capacités de détection sont suffisantes pour stopper rapidement une épidémie en Europe.
Derek Gatherer, de l'université britannique de Lancaster, note à ce sujet que la réaction rapide et complète des autorités sanitaires du Nigeria a été un succès. Au total, le pays le plus peuplé d'Afrique, où l'anarchie urbaine qui règne à Lagos faisait craindre le pire, est considéré comme pratiquement libéré de l'épidémie. Seuls 20 cas de contamination y ont été recensés, dont huit mortels.
"Même si le scénario du pire se produisait, avec un malade ne prenant pas de traitement ou n'étant pas correctement diagnostiqué, ce qui placerait dans un cas de transmission secondaire, il est peu probable que nous entrerions alors dans une chaîne de transmission très longue", poursuit-il.
"En Europe, les conditions de vie ne sont pas les mêmes que dans un bidonville de Monrovia, où les conditions sont idéales pour la propagation du virus. C'est un tout autre environnement dans les villes occidentales modernes."
(Henri-Pierre André pour le service français)