par Gilbert Reilhac
STRASBOURG (Reuters) - Premier lycée musulman d'obédience turque dans l'Hexagone, le lycée Yunus Emre, qui a ouvert ses portes début octobre à Strasbourg, ambitionne de former des cadres religieux pour créer un "islam de France" avec l'aval d'Ankara et de Paris. Cet établissement, qui porte le nom d'un célèbre poète turc soufi des XIIIe et XIVe siècles, est né de l'initiative du Ditib Strasbourg, ou Union pour les affaires religieuses turco-islamiques, un réseau d'associations cultuelles liées au ministère turc des Affaires religieuses. Vingt-quatre élèves, neuf garçons et quinze filles, ont intégré la première promotion, composée d'une classe de seconde générale et d'une classe "passerelle" préparatoire pour ceux qui n'en ont pas encore le niveau. Le bâtiment, un ancien centre de formation de La Poste dans le quartier de Hautepierre, pourra en accueillir dix fois plus. Le Ditib, qui a acquis sur la zone une surface de 20.000 m2, ambitionne d'y constituer un campus culturel et cultuel doté de mosquée, internat et salles de sport. Si la volonté de cet établissement hors contrat, et donc soumis à une simple autorisation de l'Education nationale, est d'abord "que chaque élève puisse sortir avec le bac en poche", selon son proviseur, Sezai Dervis, l'importance accordée à l'étude de l'islam constitue sa spécificité. Quand on demande à Zehre, une des lycéennes, pourquoi elle a choisi Yunus Emre, la réponse fuse : "Parce qu'il y a des cours de religion et qu'on peut venir voilée", dit-elle à Reuters.
De fait, une majorité des jeunes filles portent le foulard en classe, comme certaines femmes professeurs.
LA RELIGION EN FRANÇAIS Les cours de religion, 3h30 par semaine, sont facultatifs, ainsi que les cours de turc et d'arabe – deux heures chacun -, au contraire de l'anglais et de l'allemand, qui sont obligatoires. Mais tous les élèves ont choisi la première option et quasiment tous les deux autres. "Nos élèves ont eu jusqu'à présent un enseignement religieux en langue turque. Notre ambition, c'est de les amener à pouvoir s'identifier et à s'exprimer en français sur les questions religieuses", explique Sezai Dervis, qui est par ailleurs professeur d'économie dans le public.
La création du lycée renvoie à la Faculté libre de théologie islamique que le Ditib Strasbourg avait ouverte, en 2011, dans ces mêmes locaux, pour former des imams. L'enjeu était de suppléer les quelque 151 imams turcs dépêchés en France par le gouvernement d'Ankara et "d'intégrer l'islam à la société française", souhait partagé du gouvernement et des responsables du culte musulman en France. Samim Akgönül, un enseignant chercheur de l'université de Strasbourg spécialiste des religions et de la Turquie, doute cependant des intentions du Ditib, "créé en 1983 pour encadrer les communautés turques à l'étranger", selon lui. "Aujourd'hui, le même projet d'encadrement connaît une extension à travers le religieux, mais sous l'angle de l'éducation", ajoute-t-il. Lancée trop précipitamment, la faculté privée avait fermé et envoyé ses étudiants parfaire leur formation en Turquie. "Nous avions accueilli des bacheliers sans formation suffisante", explique Murat Ercan, président des associations gestionnaires de la faculté et du lycée.
PROJET DE FACULTÉ MUSULMANE La difficulté de recruter des formateurs francophones et d'obtenir une reconnaissance des diplômes tant en France qu'en Turquie, avait également conduit à une impasse, reconnaît cet expert-comptable qui assume par ailleurs la présidence tournante du Conseil régional du culte musulman en Alsace. La création du lycée est une manière de reprendre le projet en amont, pour relancer la faculté. "Une grande majorité des garçons veulent intégrer la faculté et les filles, pour une grande partie d'entre elles, veulent devenir prédicatrices", souligne Murat Ercan. Les 250.000 à 300.000 euros de budget annuel sont financés par les familles, qui versent un droit d'inscription de 750 à 2.000 euros, et par des dons de personnes morales ou privées, en France et s'il le faut en Turquie. Pour élargir son public, le lycée Yunus Emre espère, dans cinq ans passer sous contrat avec l'Education nationale qui prendrait alors en charge la rémunération des enseignants. "Nous avons eu des discussions avec le gouvernement français dont nous avons retenu que notre projet allait dans le bon sens", affirme Murat Ercan. Le ministère de l'Intérieur, responsable des cultes, confirme, à quelques nuances près. "Nous ne sommes pas hostiles, dans la mesure où nous pensons que les imams français doivent être formés en France", a dit à Reuters un proche du dossier, mais une contractualisation du lycée ne serait "pas forcément" possible.
En revanche, des discussions d'Etat à Etat viennent de commencer avec la Turquie pour relancer le projet de faculté musulmane, a précisé la même source.
(Edité par Yves Clarisse) OLFRTOPNEWS Reuters France Online Report Top News 20151019T101742+0000