par Timothy Heritage et Alexei Anishchuk
MOSCOU (Reuters) - Vladimir Poutine a déclaré jeudi que l'économie russe finirait inévitablement par se redresser mais n'a présenté aucune solution à l'aggravation de la crise financière liée à la chute du rouble sur les marchés des devises.
Dans sa traditionnelle conférence de presse-marathon de la fin de l'année, le président russe a jugé que le gouvernement et la banque centrale avaient pris les mesures "appropriées" face à une crise qu'il a attribuée à des "facteurs extérieurs".
Mais il a admis que la banque centrale aurait pu agir plus rapidement pour soutenir le rouble, qui a perdu depuis le début de l'année près de 45% de sa valeur face au dollar.
La banque centrale a relevé mardi son principal taux directeur de 6,5 points de pourcentage, le portant à 17%, et a dépensé plus de 80 milliards de dollars cette année pour tenter de soutenir la devise russe.
Relevant que la banque de Russie avait stoppé ses interventions sur le marché des changes, Poutine a noté qu'elle avait eu raison de prendre cette décision. "Peut-être aurait-elle dû le faire plus tôt. Peut-être alors n'aurait-elle pas eu à relever son taux à 17%", a-t-il dit lors d'une conférence de presse qui a débuté vers 09h00 GMT et se poursuivait encore près de trois heures et demie plus tard.
Il a aussi indiqué que des mesures supplémentaires étaient nécessaires. Le gouvernement russe a du reste rendu public dans la matinée un projet de loi sur les banques, qui pourrait permettre aux principaux groupes du secteur de recevoir quelque 1.000 milliards de roubles (13,1 milliards d'euros) de capitaux frais pour faire face à l'impact des sanctions occidentales et du ralentissement économique.
"SI LA SITUATION CONNAÎT DES DÉVELOPPEMENTS DÉFAVORABLES..."
L'économie russe, dont la stabilité a été l'une des clefs de sa popularité depuis son accession au pouvoir, fin 1999, s'oriente vers une récession, fruit de ce que le ministre de l'Economie, Alexeï Oulioukaïev, a qualifié de "parfait concours de circonstances" entre la baisse des cours du pétrole, les sanctions occidentales sur fond de crise ukrainienne et les difficultés économiques mondiales.
Selon le ministère de l'Economie, le produit intérieur brut pourrait se contracter de 0,8% en 2015.
"Si la situation connaît des développements défavorables, nous devrons modifier nos projets. Il ne fait aucun doute que nous devrons réduire (nos dépenses). Mais un virage positif et une sortie de la situation actuelle sont inévitables", a dit Poutine.
"La croissance de l'économie mondiale va se poursuivre et notre économie sortira de la situation actuelle", a-t-il martelé, assurant que la Russie surmonterait la crise et en ressortirait "plus forte".
"Dans le scénario économique extérieur le plus défavorable, a-t-il dit, cette situation pourrait se prolonger pendant deux ans environ. Mais (les choses) pourraient aussi commencer à s'améliorer au cours du premier trimestre de l'année prochaine, ou en milieu d'année, ou en fin d'année."
L'économie russe doit se diversifier pour réduire sa dépendance aux exportations de pétrole, a plaidé Poutine, reprenant un thème qu'il a déjà abordé à de multiples reprises en quinze ans de pouvoir sans pour autant le mettre en oeuvre.
Son intervention, pauvre en propositions détaillées et sans annonce nouvelle, n'a pas stoppé la baisse du rouble, qui a encore perdu environ 3%.
UNE POPULARITÉ FRAGILISÉE ?
Estimant que Poutine s'est contenté d'exprimer un soutien a minima à l'action du gouvernement et de la banque centrale, des analystes jugent que des têtes pourraient tomber dans un proche avenir.
"Tout ceci suggère des divisions très importantes au sein de l'administration sur les moyens de répondre à la crise et aux pressions qui s'exercent sur le rouble", note ainsi Timothy Ash, directeur des recherches sur les marchés émergents à la Standard Bank de Londres.
Pour l'ancien Premier ministre Mikhaïl Kassianov, désormais dans l'opposition, la crise actuelle démontre que Poutine a mal géré l'économie russe et que ses difficultés vont aller en s'accroissant, du fait principalement de l'inflation qu'entraîne la chute du rouble.
"La Russie entre en déclin", a-t-il dit dans une interview accordée tard mercredi soir à Reuters.
Les sondages montrent que la popularité du président russe, qui a dépassé les 80% de bonnes opinions après l'annexion de la Crimée en mars, se maintient à des sommets. "La stabilité est fondée sur le soutien du peuple russe, et il n'est de fondation plus solide", a-t-il déclaré.
Mais la chute du rouble, l'augmentation des prix et la plongée de l'économie russe dans la récession pourraient altérer la confiance placée dans sa capacité à garantir la stabilité financière du pays.
"Poutine a surfé sur la vague de la hausse des prix du pétrole dans les années qui ont suivi son accession au pouvoir mais il ne fait aucun doute que l'économie va commencer à avoir des répercussions négatives sur la politique. Les pièces du puzzle se mettent en place et vont commencer à affecter la viabilité politique de ce régime", avance Nicholas Spiro, directeur de Spiro Sovereign Strategy à Londres.
(Henri-Pierre André pour le service français, édité par Pierre Sérisier)