Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
La séance du 29 avril est probablement historique : elle marque un tournant majeur dans l’histoire de la finance.
Les manuels d’économie classiques peuvent être jetés dans des bennes à ordures afin d’être broyés par les spécialistes du recyclage de papier.
Des centaines de milliers de pages de littérature sur Internet concernant le fonctionnement des marchés, les mécanismes de fixation des prix, les caractéristiques d’un actif digne d’être détenu à moyen ou long terme ne valent plus la peine que vous y jetiez un oeil plus de 30 secondes : juste le temps de lire le titre et les sous-titres, si cela parle d’investissement et de marchés, vous pouvez passer à la page des sports.
Ah mince… il n’y a plus de page des sports, parce qu’il n’y plus d’événements sportifs à commenter.
Bon, soyez patients, d’ici l’automne, quelques championnats reprendront, avec les quelques clubs qui n’auront pas fait faillite.
Revenons-en à cette séance du 29 : elle nous oblige donc à redéfinir ce qu’est un “marché” puisqu’il n’existe plus qu’un seul acteur, omniprésent, omnipotent -le banquier central- qui vient de dynamiter le dernier minuscule espace où le monde réel et virtuel interagissaient -certes marginalement- afin que s’opère la “formation d’un prix” cohérent avec les perspectives de croissance et de revenus futurs.
La FED vient de conformer ce que les initiés pressentaient depuis lundi : elle va prendre en charge la fixation de la valeur pour toutes les classes d’actifs, soit en achetant des bons du Trésor et des émissions obligataires “corporate”, soit en fournissant de manière illimitée des liquidités aux banques qui financent les entreprises cotées.
Les autres, les petites, celles qui donnent du travail aux étudiants, aux artisans, aux indépendants, feront faillite par centaines de milliers au cours des prochains mois… mais Wall Street s’en fiche: ni BlackRock (NYSE:BLK), ni Vanguard, ni les fonds de retraite, ni les fonds souverains n’en sont actionnaires.
Pour les banques, pas de souci, il suffira de présenter l’ardoise au Trésor pour se faire rembourser, et ce dernier demandera à la banque centrale d’émettre autant d’unités monétaires que nécessaire pour combler ce passif.
La FED soutiendra Wall Street, “jusqu’à ce que l’économie soit sortie de la crise” : nous voici donc définitivement rassurés puisque son soutien forcené d’un système qui maintient en survie artificielle les “zombies” et socialise les pertes n’a jamais cessé depuis septembre 2008.
Le Nasdaq a gagné jusqu’à 4% mercredi soir et culminé à 8 950 points : il se paye aussi cher que le 31 décembre 2019 (à l’ouverture) et le Nasdaq100 affiche maintenant +2,6% sur l’année 2020, qui s’ajoutent aux +38% pris durant les 12 mois précédents.
Il affichait déjà il y a 4 mois un PER stratosphérique de 36… et maintenant que les bénéfices sont attendus en repli de 25% en moyenne pour 2020 et que les entreprises n’ont plus aucune visibilité pour 2021, le multiple de capitalisation passe la barre des 40.
Ce n’est apparemment qu’une étape sur la route des 50, c’est à dire 2 fois la norme au sommet de la précédente bulle en 2007 : mais puisque la FED affirme que les taux vont rester à zéro “aussi longtemps que nécessaire” -c’est à dire éternellement- même un PER de 100 procurera un meilleur rendement qu’un T-Bond ou une obligation hypothécaire à 30 ans.
Wall Street portée par le Remdesivir et par Tesla (NASDAQ:TSLA)
Cette séance fut également historique par le niveau d’intox destinée à masquer une manipulation de cours d’une ampleur inégalée depuis que les QE existent.
Les marchés “payent” une info (ou infox ?) publiée -par un fascinant hasard- à 14H30 (au moment même de l’annonce d’un PIB en chute libre de -4,8%) par le laboratoire Gilead (NASDAQ:GILD) qui fait état de résultats “encourageants” pour le Remdesivir dans le traitement du Covid-19, après administration en intraveineuse, en milieu hospitalier sur un échantillon de patients durant 5 jours
L’étude précise qu’une amélioration ne serait constatée que dans 60% des cas par rapport à des patients non traités, un résultat qualifié de “probant” par Anthony Fauci, le conseiller de Donald Trump pour les questions médicales alors que plusieurs précédentes études, dont une toute récente réalisée en Chine avait conclu à l’absence de résultat du Remdesivir administré durant 10 jours à des patients (zéro résultat également sur le VIH, pour lequel il avait été développé initialement).
Mais admettons, comme l’affirme le Dr Fauci, que la piste mérite d’être creusée et qu’une autorisation “anticipée” doit être délivrée, ce médicament à l’usage terriblement coûteux (800$) n’est utile que dans les 5% des cas de patients atteints de surinfection et n’a donc aucune vertu préventive ni curative sur 95% des formes mineures du Covid-19 qui justifient cependant des mesures de quarantaine.
Autrement dit, il n’empêche pas la contamination, il ne neutralise pas le virus chez les porteurs sains, il ne soigne pas le patient durant la période de prolifération dans l’organisme, il ne rentre en jeu que lors de l’apparition des symptômes de détresse respiratoire (lorsque la “charge virale” retombe).
Je le répète : le Remdesivir n’a aucun effet sur la contagion, ne change rien aux mesures de protection et de confinement, ne permet de lever aucun des interdits (déplacements en transports en commun, voyages, travail en open-space) qui s’imposent à près de 4 milliards d’habitants de la planète.
Non, le Remdesivir ne change rien, strictement rien aux causes de l’effondrement économique actuel… et nous prions bien sûr pour qu’il évite effectivement le décès de 60% -chiffre indiqué par Gilead- des quelques milliers de patients atteints de complications pulmonaires sévères (et si cela peut fonctionner sur d’autres pneumo-pathologies, alors tant mieux, parce que sur le VIH, c’est zéro).
Mais pour les “faiseurs d’opinion”, l’information valait +3,5 à +4% de hausse alors que lors de divulgation du protocole Plaquenil + antibio + zinc, censé avoir un effet préventif, Wall Street n’avait rien “payé” du tout !
Pour résumer, si une piste de traitement concerne 95% de la population, Wall Street ne mise pas un dollar dessus, si ça soigne 5% des victimes du Covid-19 -mais les preuves scientifiques sont encore très fragiles- alors là, la Bourse explose à la hausse !
Et pour finir en beauté cette journée où n’importe quelle imbécillité plonge les marchés dans une douce félicité, Tesla annonçait après la clôture un bénéfice de 1,24$ par titre -contre 0,36$ attendu- alors que la firme perd de l’argent à chaque véhicule vendu et a vu ses ventes s’effondrer fin mars.
Et Wall Street payait ce miracle +10% (Tesla atteignait 875$ en transactions hors séance), car personne ne s’étonne qu’une entreprise qui vend à perte fasse des bénéfices.
Par quel tour de passe-passe comptable et fiscal Tesla affiche des profits, personne ne s’en soucie !
Et si les ventes s’effondrent, quels seront les profits futurs alors que ses concurrents qui eux étaient rentables avant la crise sont déjà à l’agonie ?
Cela semble encore plus idiot de le demander !
Et pour illustrer la perte de contact avec le réel du marché, cette petite illustration pour terminer (petit rectificatif : la capitalisation est désormais de 162,3 Mds$, juste 10% de mieux que le 28 avril.