Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
Au départ, il ressemblera aux 23 précédents. Je fais allusion aux rebonds du S&P500 depuis la mi-mars 2009 et dont j’ai parlé dans ma video « c’est la dernière du pack de 24 » de vendredi matin… Le soir même, c’était le début du rebond à Wall Street.
Il tombait bien, ce rebond, à la veille d’un week-end où les opérateurs risquaient de partir sur une (très) mauvaise impression et de gros trous de performance dans leurs portefeuilles.
La vague de rachats à bon compte (cela en avait les apparences) s’est dessinée sur le tard, et le rythme s’est singulièrement accéléré : c’est caractéristique d’un mouvement orchestré et il s’est enclenché à un moment où les vendeurs à découvert pouvaient considérer qu’ils avaient fait le plein de plus-values. C’était probablement un bon moment pour alléger les positions vendeuses et aborder sereinement le week-end, sans positions spéculatives.
La semaine passée demeure cependant lourdement perdante malgré l’embellie survenue vendredi : le Dow Jones chute de 4,2%, le Nasdaq 5,75% (sa pire performance depuis début février dernier).
Personnellement, je pense (tout haut) que les buybacks (rachat de leurs propres actions par les entreprises) ont joué un rôle déterminant. Car ce vendredi 12 octobre, c’est tout un pan des valeurs cotées à Wall Street qui a été littéralement oublié des programmes de rachats d’actions : il s’agit des 2000 petites et moyennes valeurs du Russel2000, qui sont restées complètement en panne, scotchées à leurs planchers de plus de 6 mois.
Symétriquement, la liste des titres ayant le plus fortement rebondi coïncide avec celle des entreprises pesant plus de 100 Mds$ de capitalisation et qui initient chaque trimestre les plans de rachats les plus considérables…
On y retrouve donc AMD (+4,1%), Microsoft (NASDAQ:MSFT) (+3,5%), Apple (NASDAQ:AAPL) et Cisco (NASDAQ:CSCO) (+3,6%), Comcast (NASDAQ:CMCSA) ou Applied Materials (NASDAQ:AMAT) (+2,8%). Et parmi les « favorites » de Wall Street, nous retrouvions Amazon (NASDAQ:AMZN) (+4%), Align Techno (+4,7%), Nvidia (NASDAQ:NVDA) (+4,9%), Salesforce (+5,4%), Autodesk (+5,6%)… autant de titres qui affichent encore de +30 à +60% sur 2018.
Donc pour en revenir à la vague de liquidations que nous avons subie cette semaine, je vous propose deux autres pistes sur lesquelles les médias demeurent encore assez discrets.
▶ Deux hypothèses dérangeantes qui expliquent la chute des marchés
Les buybacks s’étaient taris à l’approche de la publication des trimestriels (il se produit un lock up lorsque les munitions des programmes de rachats sont épuisées).
Première piste : les corrections surviennent juste avant la publication des trimestriels car c’est le moment où les entreprises cotées suspendent leur campagne de rachats de titres, dans l’attente de valider le montant de la prochaine édition. Cette cyclicité devient de plus en plus voyante, car en l’absence d’injection monétaire des banques centrales, il ne reste plus que les buybacks pour entretenir un flux acheteur. Quand celui-ci se tarit, le phénomène de « manque » est de plus en plus visible.
Seconde piste, et celle-là est relativement récente, la raréfaction relative du dollar débouche sur un renchérissement du coût de la couverture des positions en dollar.
Pour faire simple, les prêteurs de dollars exigent des emprunteurs qu’ils couvrent leurs positions, de peur que la hausse du billet vert (structurellement haussier) ne les mette en difficulté pour rembourser leur dette si leur devise d’origine venait à connaître le même sort que la livre turque ou le peso argentin. Les pays émergents, très lourdement endettés en dollars, couvrent donc leurs positions.
Symétriquement, les pays qui dégagent des excédents commerciaux qu’ils sont tentés de répéter aux États-Unis (en achetant des T-Bonds) vont devoir acquérir des dollars qu’ils ne possèdent pas auprès de leurs partenaires bancaires. Ce sont donc les banques qui vont devoir s’en procurer en les empruntant à leur tour auprès de leurs consœurs américaines, qui vont réciproquement exiger que ces prêts de dollars soient « couverts ».
Les besoins de financement des États-Unis augmentant au rythme de 1 000 Mds$ par an, ce sont autant de milliards supplémentaires à s’échanger, donc à couvrir dans le cadre de swaps de devises. Or la couverture devient de plus en plus onéreuse.
Je parle de centaines de milliers de milliards de dollars.
Là où la situation risque de tourner au cauchemar, c’est si les créanciers potentiels de l’Amérique seront dissuadés d’acheter de la dette américaine parce que les frais de couverture deviennent trop élevés !
Les rendements des T-Bonds américains commenceraient alors à se tendre, non pas du fait de l’inflation, non pas du fait des outrances de Donald Trump, même pas du fait d’une « mauvaise volonté » de la part de Pékin … mais tout simplement parce que l’encours de dettes libellées en dollars devient trop colossal et que la prime demandée pour offrir la liquidité nécessaire à l’équilibre du système (sans même parler du risque évident de défaut) devient mécaniquement dissuasive.
Côté gérants et épargnants (qui se moquent au fond du « pourquoi du comment »), le constat, c’est que la série baissière, largement pilotée par les algos, s’auto-alimente, que le S&P500 a enfoncé la moyenne mobile 200 (MM200) pour la première fois depuis 577 séances (le 25 juin 2016, au lendemain du Brexit).
Le S&P500 n’avait alors passé que 48h sous MM200, qu’en sera-t-il cette fois-ci ? A 16h00… soit une demi-heure après l’ouverture, l’indice américain est pile sur sa MM200, à 2 763 points…
Ce qui nous inquiète particulièrement, c’est que cette fois, à la différence du Brexit, plus des deux-tiers des valeurs du S&P500 sont entrés en tendance baissière.
La correction peut-elle se poursuivre ?
Dégénérer en scénario catastrophe ?
Aucune hypothèse ne peut être écartée car il est un dernier élément sur lequel nous devons revenir : contrairement au sell-off de début février et au flash krach sur le VIX qui l’avait accompagné, ce ne sont plus seulement les bons du Trésor américain à 2 ans qui offrent une rémunération supérieure à celle du S&P500, mais la totalité des maturités : de 1 mois (2,30%) à 30 ans (3,40%) ! L’obligataire rapporte désormais plus que les actions…
Et de ce point de vue, les choses peuvent carrément mal tourner pour Wall Street et les places européennes d’ici fin 2018.
Mais Donald Trump peut également soulager Wall Street en faisant savoir qu’il accepte la reprise des négociations avec Pékin qui consent à faire un pas en direction de Washington en signe de bonne volonté.
Il peut aussi expliquer qu’il n’est pas fâché avec la Fed et que les relations avec Jerome Powell sont si cordiales qu’il s’est permis quelques formules à l’emporte-pièce, sachant que personne n’en prendrait ombrage : quand on est suffisamment ami, on peut se parler franchement et chercher ensemble un compromis.
C’est une autre facette de « l’art du deal » si cher à Donald Trump.
Il existe toute une panoplie d’expédients susceptibles de faire rebondir Wall Street de 3 à 5% en quelques heures…
Mais fondamentalement, compte tenu de la problématique de la hausse mécanique des coûts induits par le gonflement de l’encours des dettes libellées en dollar, tout investisseur devrait rester très sélectif quant à ses positions, penser à se renforcer sur les positions short et chercher comment profiter d’un prochain trou d’air ou krach des marchés.