• La Russie a abandonné son régime de change contrôlé et laisse le rouble s’échanger librement.
• Le changement de politique vise à effrayer les vendeurs du RUB avec une menace d’intervention.
• Des contrôles de capitaux semblent envisageables, ce qui pourrait engendrer de la volatilité.
La Banque centrale de Russie (BCR) a abandonné son régime de change contrôlé caractérisé par un «corridor» contenant la valeur du rouble face à l'euro et le dollar américain et laisse désormais sa devise flotter librement. Ce changement de politique s’inscrit dans une longue liste de tentatives par les autorités monétaires russes pour faire face à une chute brutale du rouble, qui a jusqu'ici a entraîné une chute de 47,8 pour cent contre le billet vert depuis le début de l’année.
Pourquoi y a-t-il un risque de contrôles des capitaux plus stricts et des pertes potentielles pour les traders du rouble à l’horizon ?
Le rouble russe chute à cause des incertitudes politiques
Sous pression depuis 2013, le rouble a amorcé une chute quasi-parabolique en juillet après le crash du vol MH17 de la Malaysia Airlines dans l’est de l’Ukraine. L'incident a marqué une escalade des tensions entre Moscou et les gouvernements occidentaux, qui avaient commencé avec le renversement du gouvernement ukrainien en février et a eu pour résultat la sécession de la Crimée et son annexion russe ultérieure. Les États-Unis et l'Union européenne ont dévoilé une nouvelle série de sanctions contre la Russie à la fin du mois suivant l’affaire criméenne.
Les risques géopolitiques entraînent une fuite massive des capitaux en Russie
Source : Bloomberg
Les investisseurs, effrayés par le risque géopolitique important, ont commencé à retirer leurs fonds placés en Russie, entraînant une dégradation drastique du compte courant vers ses plus bas niveaux depuis 2009, ce qui a amplifié la dépréciation du rouble contre le dollar et l’euro. La chute du pétrole a également alimenté le mouvement baissier sur le rouble. La vente de l’or noir représente à peu près deux tiers des exportations de la Russie, et une détérioration des perspectives pour le pétrole a encouragé la liquidation des actifs exposés à la conjoncture économique russe.
Une poursuite de la baisse du prix du pétrole brut pourrait aggraver la pression sur le rouble russe
Source : Bloomberg
Les vents contraires simultanés des sanctions et des perspectives pessimistes pour les exportations russes couplées par une monnaie en perdition ont présenté un mélange toxique. D’après le consensus des analystes interrogés par Bloomberg, les marchés anticipent une stagflation grave comme les prévisions de croissance et d’inflation divergent. Ceci met la banque centrale clairement entre le marteau et l'enclume. D'une part, la flambée des prix exige une politique de resserrement; de l'autre, la dégradation dans l’expansion de l’activité économique milite en faveur de mesures d’assouplissement.
La Banque centrale russe se trouve dans une situation difficile comme les relèvements des taux d’intérêt s’avèrent être inefficaces
Face à ce dilemme, les responsables politiques se sont mis à tenter d'enrayer la dégringolade du rouble dans une tentative apparente de calmer les eaux avant d'aborder des questions plus vastes. Les tentatives de dissuader les vendeurs de la monnaie avec des relèvements agressifs des taux d'intérêt ainsi que des interventions directes sur le FX via lesquelles la banque centrale a vendu des réserves de change se sont avérées futiles. Ceci laisse la Banque de Russie avec un choix difficile : permettre la chute vertigineuse du rouble ou d'introduire un régime beaucoup plus draconien de restrictions afin de stopper la fuite des capitaux.
La Banque de Russie laisse le rouble flotter pour soutenir la monnaie—l’efficacité de cette mesure est incertaineLa Banque de Russie a flotté de manière inattendue le taux de change du rouble dans une tentative de contrôler la chute de la monnaie, et à ce jour, cela nous paraît être une mesure risquée. Permettre au rouble de se déprécier davantage et augmenter le risque d'une intervention pure et simple sur le marché des changes en plus de la menace des ventes imprévisibles du RUB rend vendre le déclin de la devise beaucoup moins attrayant. Le rouble russe a rebondi fortement grâce aux actions de la BCR, mais le début de la victoire n’est guère encourageant.
Comme l'histoire le démontre amplement, la menace d'une grosse intervention et même sa réalisation répétée n'a pas réussi à détourner durablement l'assaut des investisseurs sur une devise donnée. Il suffit de regarder le Japon et les tentatives récentes de la Banque de réserve de la Nouvelle-Zélande d’intimider les marchés pour voir comment son impact évapore rapidement comme les traders retentent leurs stratégies peu après.
Un risque majeur pour les investisseurs avec la dépréciation continue du rouble, qui pourrait inciter de nouvelles mesures plus drastiques
Le message est clair : une poursuite de la dépréciation du rouble et une augmentation généralisée de la volatilité sur des marchés financiers forceraient la Banque de Russie à engager des mesures encore plus drastiques, ce qui entraînerait un préjudice monétaire réel pour les investisseurs. Ce qui était sans doute impensable il y a trois mois est maintenant devenu une possibilité distincte : la BCR pourrait empêcher toute spéculation et investissement transfrontalier sur le rouble et forcer des pertes substantielles sur les investisseurs et épargnants.
Les investisseurs avertis sont susceptibles d’être parmi les premiers à abandonner un marché donné sur le premier signe de danger. Mais le risque est clair – que se passera-t-il si ceci suscite une attaque plus large sur le système bancaire russe?
La volatilité implicite et réalisée sur l’USDRUB atteignent ses plus hauts niveaux depuis la crise financière de 2008
La crise financière russe de 1998 est un avertissement clairLa crise financière russe de 1998 souligne les effets potentiellement importants de nouvelles turbulences et les risques pour l'investisseur. Compte tenu d'un mélange toxique des risques pour l'économie, le gouvernement russe a dévalué le rouble, a fait défaut sur sa dette domestique, et s’est trouvée en faillite sur ses paiements aux créanciers étrangers. Les résultats ont été spectaculaires : le taux de change a chuté et l'inflation domestique a atteint 84 pour cent comme une véritable attaque contre le système financier russe, ce qui a poussé les épargnants et investisseurs nationaux à se ruer vers des devises plus «sûres». Les retombées politiques qui s’en sont suivies ont porté le président Vladimir Poutine au pouvoir.
Vladimir Poutine sait que les risques de changement de régime politique sont importants, il pourrait donc prendre des mesures plus importantes pour prévenir une répétition de l’histoire.
Des contrôles des capitaux—Pourquoi les investisseurs doivent-ils s’inquiéter ?Le gouvernement de Poutine pourrait en effet soumettre les marchés financiers à des contrôles beaucoup plus stricts qu’en 1998. Pour les traders ayant des positions ouvertes sur le rouble, que ce soit l’USDRUB ou d’autres paires, ceci veut dire que vos trades pourraient être clôturées à des taux significativement différents avec de lourdes pertes. Ceci est clairement de la spéculation, et il est impossible de savoir exactement ce que sera le résultat. Mais l’information à retenir est la suivante : davantage de turbulence sur le marché russe transformerait ce qui était auparavant une possibilité insignifiante en une probabilité réelle. Les actions de Poutine à ce jour laissent entrevoir de plus en plus à une politique d'isolement pur et simple de l'Ouest et même des marchés financiers mondiaux.
Même les traders qui ne négocient pas le rouble devraient prendre note ; la Russie est loin d’être un trou économique perdu. Ses liens financiers dans le monde entier ont été clairement réduits ces derniers mois en raison des sanctions et de la fuite des capitaux, mais une véritable rupture de ces liens peut déclencher des fluctuations violentes dans tout le spectre des actifs pendant que les investisseurs se bousculent pour ajuster les portefeuilles.
Gardez un œil sur une détérioration du taux de change du rouble, du prix du pétrole brut, et de nouvelles turbulences géopolitiques comme un avertissement clair des mesures plus drastiques par le gouvernement russe.
Par Ilya Spivak et David Rodriguez pour DailyFX