Dans le domaine de l’investissement on considère que la loi des grands nombres (en diversifiant ses investissements) est garante non pas de la meilleure allocation possible, mais d’une configuration qui permettra de lisser la performance et de minimiser le risque.
Dans cette optique de minimisation du risque, le crowdunfing avait émergé visant à faire pré-financer des projets culturels – par nature peu prévisibles - par un maximum de personnes, cette prescription issue des goûts de la foule, étant censée garantir un futur succès commercial, et de manière plus sure que l’aurait fait une poignée de professionnels.
Plus récemment Spotify a indiqué qu’il envisageait de faire côter ses actions - sur des valorisations proches de 10 milliards de dollars - en s’adressant directement à sa communauté de 100 millions d’utilisateurs.
Cela marque-t-il la fin du rôle des professionnels de l’investissement et des intermédiaires ? Pouvons-nous parler d'un début de l’uberisation de la finance ?
La foule en tant qu’arbitre ?
Selon la théorie libérale classique de la « main invisible » chère à Adam Smith, les acteurs économiques en cherchant à maximiser leur bien-être participeraient à un système global bénéfique pour l’ensemble des individus.
Cependant la multiplication des crises, l’apparition de bulles spéculatives et de crises financières majeures a pu mettre à mal cette vision.
Le cas du marché de l’assurance-vie, est un cas assez actuel où l’intérêt de chacun ne pourrait pas forcément être en ligne avec l’intérêt de tous, on est ici face à un cas de « dilemme du prisonnier ». Depuis plusieurs années, les taux servis par les « contrats euros » sont supérieurs aux taux de placement sans risque du marché. Pour maintenir un spread attractif, les compagnies d’assurances ont été contraintes de puiser dans leurs réserves. En cas de hausse des taux brutale, les détenteurs de contrat pourraient cependant être tentés de demander le remboursement de leurs contrats pour placer sur des supports désormais plus attractifs, entraînant des ventes massives d’actifs de la part des assureurs (dans un contexte où, la valorisation de ces actifs baisserait du fait de la hausse des taux, entraînant des ventes à perte). Cela risquerait de mettre à risque les assureurs en cas d’absence de fonds propres.
C’est dans ce cadre que la loi Sapin II a décidé d’instaurer la possibilité de suspendre momentanément les rachats en cas de crise. Dans un autre ordre d’idée il existe en bourse des mécanismes de suspension de cotation en cas de trop forte variation des cours ou des indices, censés empêcher un emballement des acteurs, qui ont intérêt individuellement à chercher à vendre avant la foule, mais par cela même, précipitent le mouvement …
Un mode plus coopératif et aligné dans le crowdfunding ?
Dans le cadre du crowdfunding (ou du crowdlending), il y a priori un alignement d’intérêt des souscripteurs, et non comme dans le cas précédant un perdant et un gagnant. Dans le cas d’un investissement classique en crowdlending, les prêteurs sont amenés à se déterminer sur une offre à prix fixe, sans surenchère (à la hausse ou à la baisse) possible.
Est-il dès-lors suffisant de se baser sur le comportement de la foule pour réaliser un investissement qui soit adapté à ses besoins. Le succès apparent d’une opération auprès de la communauté, sera certes un signal plutôt positif, mais se fonder sur ce seul élément serait sans doute une erreur.
En effet, si chacun a eu a priori accès au même degré d’information via la plateforme et aux forums : chacun ne connait pas la composition du portefeuille des co-investisseurs, leur appétence au risque et le rapport à leur patrimoine global, ni même leur « compétence » individuelle dans le domaine, ni le temps qu’ils ont consacré à l’analyse. Par ailleurs quel est pourcentage de personnes qui ont eu accès à l’opportunité et l’on déclinée ?
Le succès d’un système de recommandation tel que Tripadvisor (au détriment des guides référents, établis par des professionnels) repose ainsi à la fois sur l’avis émis par la foule mais également par le fait que l’on peut s’intéresser également au profil des intervenants (nombres de voyages effectués, pourcentage de critiques bonnes/mauvaises, voyageur individuel ou en famille ainsi qu’au contenu argumenté de chaque critique) pour juger d’une certaine adéquation avec notre profil.
Les plateformes de financement : concilier le rôle de l’intermédiaire professionnel et du libre arbitre
Au-delà d’un co-investissement avec la foule, le caractère intéressant et innovant du crowdfunding est qu’il permet également à l’investisseur de se baser sur une présélection établie par des professionnels de l’investissement ayant fait eux-même l’objet d’un agrément. Le média web permet un accès direct à l’information, avec des possibilités d’interaction avec ces derniers.
Ce monde de fonctionnement est déjà celui que l’on peut rencontrer lors d’introductions boursières, mais ici l’éventail des cibles et des investisseurs potentiels est élargi et la communication moins filtrée.
En ce sens le rôle de l’expert reste primordial, et ses intérêts sont alignés avec ceux de la foule : l’intermédiaire en crowdfunding a intérêt à présenter des projets de qualité qui connaîtrons un succès auprès de la foule. Il a par ailleurs un fort risque de réputation : même s’il est un intermédiaire rémunéré, le bon comportement des sociétés sélectionnées est sur le long terme la clé de sa crédibilité et de son succès. Chez WeShareBonds, nous avons choisi de pousser cet alignement encore plus loin, car les actionnaires de la plateforme co-investissent sur les dossiers sélectionnés via un fonds de crédit dédié, aux côtés de la foule (comme le ferait un intermédiaire lors d’une introduction boursière, qui s’engage à une « prise ferme » garantissant la bonne fin de l’opération).
Au final le projet de Spotify, sans filtre, n’est pas un projet de crowdfunding tel que nous l’entendons : le crowdfunding (à plus forte raison le crowdlending), impose une présentation relativement normée et un avis documenté, notamment au niveau de la perception des risques.
Le financement participatif, n’est pas le règne de la foule. C’est avant tout de pouvoir pour chacun d’user de son libre arbitre individuel sur une classe d’actifs multiples (actions, prêt) en ayant accès à des projets qui n’étaient pour la majorité jusqu’à là peu accessibles en direct (financement de PME) pour des montant multiples, avec des frais de transactions réduits grâce au web. Pouvoir surtout se fonder sur une information transparente et vérifiée permettant une prise de décision documentée. Et surtout ne pas s’exonérer des règles de bonne conduite d’un investisseur : si l’opinion de la foule reste appréciable, ne miser que sur ce que l’on comprend, investir en cohérence avec son profil de risque et diversifier ses actifs.