Alors que les données illustrent une économie qui semble avoir souffert moins que prévu de l’incertitude budgétaire fin 2012, un nouveau débat est lancé sur le relèvement du plafond de la dette, tandis que les membres de la Fed apparaissent divisés sur la durée de la troisième vague d’assouplissement quantitatif.
Le rebond de l’indice ISM au-dessus des 50 points en décembre et surtout le relatif dynamisme des créations d’emplois sur la fin d’année pourraient indiquer que la croissance américaine a mieux résisté à l’incertitude budgétaire que prévu. Deux conclusions sont alors possibles. La première est que l’arrivée du Fiscal Cliff n’a tout simplement pas changé les comportements de consommation, d’épargne et d’investissement des Américains. L’alternative est que l’accélération sous-jacente de l’économie a été assez forte pour compenser les effets potentiellement dévastateurs de l’incertitude. Il est difficile de trancher objectivement cette question.
Si la première hypothèse est la bonne, la résolution du Fiscal Cliff n’aurait pas d’effet positif sur la croissance. On pourrait alors attendre des effets négatifs, le relèvement du taux de cotisation salariale et (dans une moindre mesure) du taux d’imposition des revenus les plus élevés pesant sur le revenu disponible et la confiance, et donc sur la consommation. En revanche, si l’on retient la deuxième hypothèse, la levée de l’incertitude et un ajustement budgétaire moins violent que prévu pourraient doper l’économie, notamment grâce à une accélération des créations d’emplois, générant des revenus salariaux et une confiance de nature à soutenir les dépenses des ménages. Les données pour le mois de janvier 2013 permettront de trancher ce débat : une accélération marquée des créations d’emplois donnerait crédit à la deuxième hypothèse.
Reste que l’ensemble des incertitudes n’a pas été levé, et le rebond pourrait ne pas intervenir en tout début d’année. Les deux questions qui restent en suspens sont celle des coupes automatiques de dépenses du gouvernement fédéral et celle du relèvement du plafond de la dette. Les premières – liées au précédent accord sur le relèvement du plafond de la dette en août 2011 (voir Conjoncture BNP Paribas de décembre 2012, « L’Amérique sait-elle encore rêver ? ») – qui devaient intervenir dès le début de 2013 ont été repoussées de deux mois, alors que le plafond de la dette a, d’ores et déjà, été atteint. Si l’Etat continue de fonctionner, c’est grâce aux mesures exceptionnelles adoptées par le Trésor, mesures qui avaient déjà été prises au début de l’été 2011.
Les positions ne sont pas nouvelles : les Républicains n’accepteront de relever le plafond de la dette qu’à la condition d’une réduction comparable des dépenses fédérales, alors que le président Obama ne veut pas envisager de telles coupes budgétaires. Encore une fois, les points de vue semblent irréconciliables, et des alternatives plus ou moins fantaisistes sont proposées. Pour certains, le Président aurait le pouvoir constitutionnel de relever le plafond de la dette sans l’accord du Congrès. Pour d’autres, il suffirait au Trésor de battre monnaie (une pièce de platine à la valeur faciale aussi astronomique que nécessaire), alors que Paul Krugman propose l’émission d’« obligations d’intention » qui ne seraient pas techniquement de la dette mais seraient dans les faits monétisables. Le plus probable est qu’un accord sera trouvé au travers d’une levée des coupes automatiques de dépenses et de l’instauration de baisse de dépenses d’un montant certainement moindre mais d’un ciblage plus approprié. Alors pourra commencer un autre débat sur un plan plus complet d’assainissement des finances publiques, qui devrait couvrir, sur le volet recettes, une réforme de l’imposition des sociétés, et sur le volet dépenses, une réforme des programmes obligatoires (retraites publiques et couverture santé).
Publiées juste après la résolution du Fiscal Cliff, les Minutes de la réunion du FOMC de la mi-décembre 2012 auraient pu passer inaperçues. Tel ne fut pas le cas, puisqu’il y apparaît clairement que les membres de la Fed sont divisés quant à l’horizon prévisionnel de la troisième vague d’assouplissement quantitatif (QE3). Alors qu’environ la moitié des participants estime qu’il sera opportun d’arrêter le programme d’achats de titres (MBS et Treasuries, pour un montant mensuel combiné de USD 85 mds) au milieu de 2013, l’autre moitié s’attend à devoir le prolonger jusqu’en fin d’année. La division n’est en fait qu’apparente, puisque la quasi-totalité des membres du FOMC s’est accordée sur le prolongement de QE3 au-delà de la fin de l’Opération Twist en fin d’année dernière. Le point de vue selon lequel la faiblesse des créations d’emplois appelle une politique monétaire très accommodante reste donc consensuel. Mais du fait de l’incertitude qui prévalait encore en décembre, la fin probable de QE3 n’était pas envisagée de la même façon par tous.
Les projections économiques des différents membres du FOMC montrent ainsi que la quasi-totalité d’entre eux estime le degré d’incertitude pesant sur leurs prévisions de croissance et de chômage comme plus élevé qu’au cours des deux dernières décennies. Pour deux membres estimant que les risques sur la croissance sont à la baisse (respectivement à la hausse pour le chômage) un membre seulement estime les risques équilibrés. Le diagnostic sur l’inflation est très différent, seuls deux membres (sur dix-neuf) envisageant un risque à la hausse. La Fed reste ainsi peuplée de Colombes. Si celles-ci souffrent de l’incertitude, c’est comme tous les autres Américains.