Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
Certaines séances des 3 sorcières constituent une bonne synthèse des market movers de la semaine ou du mois boursier écoulé. Et d’autres brouillent complètement les cartes. Celle du 20 avril appartenait clairement à la seconde catégorie.
Les places européennes grimpent, Wall Street chute
En effet, la Bourse de Paris s’est offert une septième séance de hausse d’affilée sans jamais trembler. De son côté, Wall Street ne cessait de s’enfoncer au fil des minutes. La place US était à contre-courant de la tendance de la semaine écoulée, dans le sillage de marchés obligataires qui perdaient brutalement pied.
Les Bourses européennes aveugles face aux motifs de la chute des marchés US
Mais les places européennes n’ont pas tenu compte des motifs qui faisaient plonger les valeurs américaines de -1%. Elles ont superbement ignoré le rally du baril de pétrole vers 75$ sur le Brent. A priori, elles ont aussi raté les taux longs qui ont renoué brusquement avec leurs pires niveaux de l’année 2018.
Un calendrier à respecter
Nous espérions trouver au cours du week-end des explications qui tiennent la route. Mais à part le léger renforcement du dollar vers 1,2300/€ en fin de semaine, la hausse du CAC semble plutôt refléter le respect d’un calendrier ou un scénario préétabli. En effet, n’oublions pas que nous sommes dans le cadre d’une rotation sectorielle en faveur des actifs libellés en euro. On comprend mieux pourquoi on occulte l’émergence de signaux majeurs.
Brusque dégradation des marchés obligataires : pourquoi, comment ?
Car ce qu’il faut retenir de la séance de vendredi, c’est la brusque dégradation des marchés obligataires. Cette dernière s’est enclenchée vers 14 heures, sans la moindre statistique ou prise de parole d’un banquier centrale. En effet, le 10 ans US passait brusquement de 2,92% à 2,96%. Et ce qui est le plus inquiétant, c’est la clôture des T-Bonds au plus bas du jour, de la semaine, de l’année 2018 – le précédent zénith remontant au 22 février – et même depuis janvier 2014 !
T-Bond : 10 ans et 2 ans dans le même bateau
Si le 10 ans avait été seul en cause, il aurait pu s’agir d’une simple repentification ponctuelle de la courbe des taux (une aubaine pour les banques). Mais le rendement du 2 ans grimpait de concert, vers 2,46%, c’est-à-dire au plus haut depuis fin août 2008.
Le 2 ans affiche désormais moins de 70 points d’écart avec le 30 ans. Ce dernier culminait vers 3,145%, renouant avec ses niveaux du 20 mars. Mais surtout, le spread (comprenez l’écart) avec le 10 ans se contracte à moins de 20 points de base.
Et là… nous tenons quelque chose !
Un double renversement des anticipations
Toutes les données chiffrées énumérées ci-dessus témoignent d’un double renversement des anticipations. Il signifie en premier lieu que la Fed pourrait être amenée à mener un programme de 4 hausse de taux (au minimum) cette année. Elle pourrait peut-être se retrouver contrainte de forcer l’allure si le baril de pétrole s’installe durablement au-dessus des 68$ (WTI) et 75$ (Brent).
Le baril inscrivait son zénith annuel alors que le sommet de l’OPEP/pays non-OPEP débutait à Djeddah. L’ordre du jour étant la prorogation de l’accord de limitation de la production, avec l’aval de la Russie.
Absence d’anticipations inflationnistes sur le long terme
En second lieu, la passivité du 30 ans semble paradoxalement témoigner de l’absence d’anticipations inflationnistes sur le long terme. Et comme il s’agit également d’un baromètre de l’activité du secteur immobilier, les investisseurs semblent se préparer à un dégonflement de la bulle, faute d’emprunteurs solvables. En dehors des incontournables 1%.
Instauration de la stagflation
Si l’inflation refait surface au second semestre, tandis que la hausse des taux plombe la croissance à moyen terme, tout se résume alors d’une simple formule : instauration de la stagflation. Les places européennes peuvent peut-être se raccrocher à la remontée du dollar. Elles peuvent tenter de se rassurer avec un VIX (une volatilité implicite) qui se maintient encore sous le seuil médian des 17 sur le S&P500. Mais mieux vaut s’en tenir à l’attitude prudente de Warren Buffett : n’investir que lorsque la prime de risque sur les actions est basse (or elle s’est nettement dégradée en fin de semaine dernière) et lorsque le potentiel de hausse est manifestement supérieur au risque de correction. Ce qui est l’exact opposé du tableau que nous venons de dépeindre.